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ÉTUDES FRANCISCAINES

E. F. XXIX. 1

ÉTUDES

FRANCISCAINES

REVUE MENSUELLE

Tome XXIX JANVIERJUIN 1913

Administration. Direction. LIBRAIRIE SAINT-FRANÇOIS MAISON SAINT-ROCH 4, RUE CASSETTE, PARIS, VI° COUVIN, BELGIQUE

LIBRAIRIE B. HERDER, FRIBOURG-EN-BRISGAU, BERLIN, CARLSRUHE, MUNICH, STRASBOURG, VIENNE ET ST-LOUIS,

_ TAMINES (BELGIQUE). 1IMPRIMERIE DUCULOT-ROULIN.

5Co/ . 724 V,29

(/4:2)

SOIT LOUÉ NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. TOUJOURS !

DUNS SCOT ET LE MODERNISME

Les légendes naissent vite et se propagent rapidement, même en notre siècle, ami, jusqu’au fanatisme, du document écrit, du texte décisif.

Depuis quelques années, il s’en forme une, autour du nom et des doctrines de Duns Scot. A plusieurs reprises, des écrivains catholiques ont, dans des périodiques ou des livres, affirmé que la pensée du docteur subtil était apparentée avec celle de Kant et par le Kantisme, avec le modernisme. Contre ces insinua- tions déguisées et ces affirmations explicites, nous avons déjà protesté, ici même, dans un travail sur « la Philosophie critique de Duns Scot et le criticisme de Kant. » (1)

Mais les légendes ont la vie dure. Un article publié par la Revue Thomiste (Juillet-Août 1912) nous oblige à revenir sur cette question. Le respect à la vérité et le devoir qui incom- be à tout Ordre religieux de défendre la réputation de ses fils injustement attaqués, même de ceux dont la carrière est depuis longtemps achevée, ne nous permet pas de nous taire.

L'article de la Revue T'homiste auquel je fais allusion porte le titre : « La scolastique et le modernisme. » L'auteur M. T. Richard, y veut « mettre en saillie l’antagonisme profond et irréductible qui existe entre la scolastique et le modernisme, entre les deux doctrines et les deux méthodes. » Toutefois la scolastique dont il entend parler « n'est pas autre pour le fond et la forme que celle de saint Thomas. » De ce choix ex- clusif, M. Richard allègue deux motifs, l’un d'autorité, l’autre de raison.

Motif d'autorité. I1 se résume dans les directions du Saint-

(1) Cf. Études Franciscaines, Août, Septembre, Novembre, Décembre 1900.

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6 DUNS SCOT ET LE MODERNISME

Siège, spécialement du Souverain Pontife Pie X. N'a-t:il pas écrit dans l’Encyclique Pascendi les paroles célèbres : « Quand nous prescrivons la philosophie scolastique, ce que nous enten- dons surtout par ceci est capital c’est la philosophie que nous a léguée le Docteur Angélique. » Ce motif a de la valeur. Je n'ai pas à le discuter. L'esprit laissé par saint François à ses enfants, est un esprit de trop respectueuse et filiale obéissance à l'égard du Vicaire visible de Jésus-Christ sur la terre, pour qu'ils veuillent juger ses actes. D'ailleurs les directions données par nos Supérieurs et la formation que j’ai reçue de Maîtres vé- nérés m'en enlèvent même la pensée.

Aussi je reconnais fort simplement que les documents ponti- ficaux font à la doctrine de saint Thomas une place privilégiée. Je veux bien avouer qu’à ce point de vue on puisse légitimement critiquer un jugement de Marion écrivant dans son Histoire de l'Église : « l’École scotiste garde toute son autorité. » Je consens même à ne pas chercher noise à M. Richard, sur la raison de haute sagesse qu'il invoque, pour expliquer les directions ro- maines et qui serait la nécessité de faire l'unité dans l’enseigne- ment philosophique et théologique, (1) car il est possible que ce soit l’objectif poursuivi par le Saint-Père. Mais à ces raisons d'autorité l’auteur de l’article : « La scolastique et le modernis- me » en ajoute d’autres qui, étant personnelles, ne sont plus couvertes par le très haut crédit de l’Église. |

Motifs de raison. Avec beaucoup d’assurance, M. Richard écrit : « Nulle autre scolastique que celle de saint Thomas ne peut être considérée comme l’opposé et le remède du modernisme. » Et pour que l’on ne setrompe pas sur ses intentions, il souli- gne sa pensée : « nulle autre, disons-nous, pas même la scolas- tique scotiste.» Fidèle à l’axiome qui veut que le sage prouve ses affirmations, il continue : « D’autres que nous l’ont remarqué, cette dernière, par quelques-unes de ses théories, n’est pas sans quelque affinité avec certaines aberrations modernistes, par exemple le primat de la volonté et de l’action. Faire de la théo- logie une science simplement pratique, c'est poser un principe

(1) « Qui ne voit du reste que le grand effort de l'Eglise vers l'unité de son ensei- gnement philosophique et théologique aurait complètement manqué son but, s'il avait consisté simplement à nous recommander ex-aequo, saint Thomas et Duns Scot. Il n’est pas nécessaire de s'être livré à une étude bien approfondie de la doc- trine du Docteur subtil, pour savoir qu'elle est le plus souvent, dans les grandes comme dans les petites questions, la négation même de celle du Docteur angélique.»

pag. 453.

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dont il n’est pas difficile de tirer des conclusions anti-intellectu- alistes. On sait que ces conclusions, des auteurs plus ou moins modernistes les ont tirées. (1)

Ce procès de tendance jugé en six lignes, M. Richard livre au Docteur angélique tout le domaine de la vérité. « Rien de sem- blable n’est à craindre avec la doctrine de saint Thomas. Son opposition radicale au modernisme est manifeste à première vue. » Toutefois si cet « antagonisme est d’une manière générale assez évident au premier abord » l’auteur ne croit pas inutile d’en dégager nettement et d’en étudier les éléments principaux. » De là, quatre paragraphes il démontre que la scolastique sous-entendue thomiste « s'oppose au modernisme, en tant que rationnelle, objective, traditionnelle et didactique. » Jbid.

I] y a, dans ce passage de l’article dela Reyue thomiste, deux idées assez distinctes. La scolastique scotiste loin de pouvoir s'opposer victorieusement au modernisme en est plutôt l’alliée. Cette première assertion est fausse. La scolastique thomiste doit être regardée comme un obstacle puissant à l'invasion moderniste parce que rationnelle, objective, traditionnelle, di- dactique. Cette affirmation est vraie. Mais la scolastique scotiste a la même valeur pour les mêmes raisons et M. Richard se trompe si, conformément aux désirs exprimés plus haut, il veut exclure, par son exposé, les droits et l’orthodoxie de la philoso- phie et de la théologie du docteur subtil. C’est ce que nous espérons montrer au cours de cet article.

A FAUSSES ACCUSATIONS CONTRE LA SCOLASTIQUE SCOTISTE

« La piperie des mots » est toujours à redouter dans les controverses philosophiques religieuses et sociales. Cependant on peut s'étonner qu'un esprit, aussi familiarisé avec les mé- thodes rigoureuses de la scolastique que doit l’être M. Richard, s’y soit laissé prendre à ce point. Il faut bien l’avouer, dans les deux accusations de modernisme qu'il porte contre la doc- trine de Duns Scot, il n’y a que « piperie de mots. »

"

On accuse d’abord la scolastique scotiste d’avoir quelque affi- nité avec « LE PRIMAT DE LA VOLONTÉ ET DE L'ACTION. »

(1) Revue Thomiste, Juillet-Août. p. 453.

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Cette théorie du Primat de la volonté et de l’action est au- jourd’hui fameuse. Depuis bientôt vingt ans, son crédit aug- mente de jour en jour dans le monde intellectuel. Elle constitue l'élément essentiel du Pragmatisme. Vers elle convergent les nuances diverses de la Philosophie nouvelle, inspirée du criti- cisme kantien. De la philosophie pure elle s’est infiltrée dans la théologie, l’histoire et l’exégèse. Elle avait déjà fait beaucoup d’adeptes parmi le monde ecclésiastique, lorsque parut l’Ency- clique Pascendi. Avec le modernisme condamné par ce docu- ment pontifical, la doctrine du Primat de la volonté et de l’action recevait un coup funeste.

On sait quel est le sens précis de cette doctrine. Il ne m'ap- partient pas de le rappeler ici longuement. Quelques traits cependant sont nécessaires pour situer le sujet de cet article et en tirer les conclusions que réclame la vérité.

La théorie moderne du Primat de la volonté et de l’action est née d’une forte réaction contre l’intellectualisme traditionnel. Aux concepts généraux élaborés par l'intelligence, aux notions abstraites du sens commun, la philosophie nouvelle refuse toute valeur absolue. À en croire ses docteurs, des préoccupations utilitaires seules leur auraient donné naissance. Dans le perpé- tuel devenir qui constitue le fond de la réalité, l'esprit humain, pour les besoins de l’acuon, découpe des morceaux et, avec plus ou moins d'adresse, construit les événements extérieurs, le monde matériel et le monde des représentations suprasensibles. Qu'on lise les ouvrages philosophiques de M. Bergson, ou les travaux philosophico-dogmatiques de M. Le Roy, ce mépris du concept apparaît à chaque page. A la perception immédiate est exclusivement dévolu le pouvoir de pénétrer le réel, de le saisir, de le connaître. Mais on avoue que c’est une œuvre extrême- ment difficile et ardue, pour ne pas dire impossible, actuelle- ment du moins. Le réel en effet que nous connaïssons est déjà construit par nous. Plus de formes a priori, mais une influence, secrète et incrustée au fond de notre conscience, des stades anté- rieurs de l'évolution de la pensée, due surtout aux concepts abstraits nés des besoins de l’action.

Nos perceptions les plus concrètes portent l’empreinte de ces conceptions inspirées par les nécessités de la vie active. Les faits ne sont, pour les philosophes modernes, que « des adapta- tions du réel aux intérêts de la pratique et aux exigences de la vie sociale. » [l en est de même des corps bruts que nous vo-

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yons juxtaposés, que nous touchons de nos mains. « Ils sont taillés dans l’étoffe de la nature par une perception dont les ci- seaux suivent en quelque sorte le pointillé des lignes sur les- quelles l’action passerait. » Les contours distincts sont dessinés par les besoins de notre action ; ils forment le plan elle s’exer- ce, « la route qu’elle se fraie d’avance par la perception dans l’enchevêtrement du réel. » Cette action supprimée, « l’indivi- dualité des corps se résorbe dans l’universelle interaction qui est devenue la réalité même. »

Que dire alors des notions générales d’être, de substance, de cause ? Plus que tout le reste, elles représentent, en nous, les con- ditions mentales de notre activité. Voici comment naguère M. Bergson exposait l'origine de la notion de substance. « Le sens commun obsédé de préoccupations pratiques, imagine l’exis- tence corporelle sous forme d’une invariance qu’il symbolise par une position dans l’espace : c’est déjà abstraire et simplifier quand il vient ensuite à l'esprit, ses tendances ne l’aban- donnent pas ; il ensevelit donc l'esprit cette activité qui ne se repose jamais dans une permanence morte, sans laquelle, bien à tort, il ne voit plus d'existence vraie... Un morcelle- ment est pratiqué à son tour dans la continuité mouvante de l'intuition intérieure et nous nous constituons des idées sépa- rées à l’image des corps indépendants. (1)

Il en est de même de toutes les autres notions métaphysiques, des concepts génériques et spécifiques. Que sont-ils sinon « des vues lointaines et simplifiées, des manières de croquis schéma- tiques ne donnant de leur objet que quelques traits sommaires, variables selon la direction et l'angle. » (2) Par eux, « on n’at- teint donc des choses que la surface, les contacts réciproques, les parties communes, les intersections mutuelles, mais non point l'unité organique n1 l'essence intérieure. » Aussi le lan- gage qui traduit les concepts reste-t-il toujours symbolique et il est tel parce que « la méthode d’analyse par concepts est réglée avant tout sur les besoins pratiques de l’action et du dis- cours. » (3) °

Ces quelques traits suffisent : ils caractérisent la philosophie moderne. Pour elle, les concepts ne sont qu’une déformation

(1) Revue de Métaphysique et de Morale 189. p. 302.

(2) Revue des Deux Mondes, février 1912. Une Philosophie nouvelle, M. Henri Bergson, par E. Le Roy. p. 570.

(3) Ibid. p. 571.

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du réel ; ils morcellent l’unique réalité qui est le devenir ; ils réifient ce qui est indistinct. De ces concepts se tire une phi- losophie de l'être, une doctrine du sens commun sans valeur objective, inventée seulement pour conditionner l’action.

L'action tient donc la primauté dans l’ordre de la vie et de la pensée. Quelles que soient les prévisions de l’avenir, que l’on arrive par une intuition immédiate, dégagée de toutes les cons- tructions étrangères qui la déforment, à saisir intégralement le réel ou que ce soit une tentation vaine, présentement du moins, les concepts sont dénués de valeur absolue. L'action les domine. Ils naissent de la volonté d’agir ; ils n’ont d’autre rôle que de conditionner l’action ; ils peuvent changer on dit qu’ils changent lorsque la volonté active entre dans une phase nouvelle de l’évolution.

Avec des nuances assez variées, la pensée moderne se ramène à ce fond commun de doctrines : la valeur objective des concepts expressément niée, la philosophie du sens commun subordonnée à l’action et en conséquence, l’action primant la spéculation et primant la raison. De cela, les pragmatistes se consolent gaî- ment ; les Bergsoniens s’en plaignent et nourrissent l’espoir de libérer la pensée des déformations que la pratique et l’action tont subir à la vérité; certains apologistes s’en accommodent et y cherchent un point d'appui pour remettre en honneur l'idéal moral et religieux. Chez les uns et chez les autres, on accepte donc, comme un dogme ou une nécessité, et dans le sens nous venons de le rappeler, le Primat de la volonté et de l’ac- tion.

* * *

Ce Primat de la volonté et de l'action a-t-il vraiment quelque parenté avec les doctrines de Duns Scot ? Très fermement nous pouvons répondre : non. Et cependant le docteur subtil attribue, lui aussi, à la volonté une certaine primauté sur l'intelligence, une dignité, une noblesse qui l'emporte sur la dignité et la no- blesse de la raison. De cette Primauté, voici la signification exacte.

Tout d’abord, la Primauté de la volonté, dans la scolastique scotiste, ne s'élève point sur les ruines de l'intelligence, sur les décombres sans valeur des concepts abstraits. On chercherait en vain dans les ouvrages de Duns Scot le moindre soupçon sur la

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portée objective de notre connaissance, sur la légiti mitédes per- ceptions sensibles, des opérations intellectuelles et des procédés logiques que suit notre pensée en s’organisant. On n’y trouve- rait pas davantage une thèse psychologique dont le critique le plus avisé puisse tirer une conclusion et même une apparence de conclusion qui ait quelque saveur nominaliste ou répande une odeur de criticisme.

Duns Scot enseigne la Primauté de la volonté pour des rai- sons absolument étrangères à la pensée moderne et aux doctrines modernistes. Je pourrais presque m’excuser de ne point les rap- peler. Il me suffirait de renvoyer mes lecteurs au travail du P. Séraphin Belmond, Le rôle de la volonté dans la philosophie de Duns Scot, publié ici même. (1) La clarté de ma thèse exige pourtant que je m’'arrête encore à cette démonstration.

On peut la résumer tout entière autour d’un texte que Duns Scot d’ailleurs emprunte à saint Anselme : Voluntas est motor in toto regno animæ et omnia obediunt sibi. (2) A la volonté dans le domaine de la vie psychologique, une primauté, une royauté absolue parce que partout elle est maîtresse et que tout lui obéit. L'intelligence lui est soumise comme les autres facul- tés. Dans quelle mesure ? C’est ce qu’il importe surtout de bien déterminer en ce moment.

La vie intellectuelle ne se déroule pas toujours sur le même plan. Il est facile d'y découvrir deux espèces de connaissances assez distinctes : les unes sont initiales ou primaires, les autres dérivées et secondaires.

Aux premières se rattachent les notions transcendentales d’ê- tre, d'essence, d'existence et les principes qui en découlent, les notions prédicamentales, ou catégories plus ou moins claire- ment conçues et les principes auxquels ces notions donnent naissance. (3) Fruits spontanés de l’intellect mis en présence de

(1) Cf. Études Franciscaines, de Mai et Juin 1911.

(2) In II Sent., distinct. XLII, quæst. 4, 2.

(3) Je ne parle ici que des connaissances intellectuelles. La pensée de Duns Scot aune envergure plus large. Le principe de distinction dont je me sers ici, est tiré d'une question consacrée à la nature du péché. Par connaissance première, il en- tend toute connaissance spontanée même complexe qui prévient l'acte de volonté : Et toties habet homo primas cogitationes, quoties occurrunt diversa objecta et quo- ties surget a somno. Report. Paris, 1. II, dist. XLII, 18. Nul doute que les idées transcendentales et les notions prédicamentales n'appartiennent. pour Duns Scot, à la série des connaissances initiales et premières, car elles se trouvent à la ligne de démarcation du monde intellectuel et toute connaissance réfléchie et secon- daire les suppose.

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son objet, l'être ou l’intelligible, ces notions naissent indépen- damment de toute influence volontaire. Elles ne sont point, comme le disent les Bergsoniensetles Pragmatistes, des schèmes formés sous l’empire de la volonté et pour les nécessités de l’ac- tion. La pensée de Duns Scot est nette. Pas plus que la vision ne dépend de la volonté, lorsque la détermination visuelle est produite par les objets extérieurs, les conceptions intellectuelles initiales et primaires ne dépendent de notre vouloir (1)

Il n’en est pas de même des connaissances secondaires et ré- fléchies. En aucune manière, sans doute, la volonté ne con- court effectivement à l'acte formel de lintellection. Son activité n’en est pas même une condition indispensable. Etant donnés l’intellect et l’objet intelligible, la conception mentale s’accomplit, pourvu que s’établisse entre eux le rapport requis.(2)

Mais on ne saurait nier son influence indirecte.

Et cette influence est profonde : influence de fixation mentale, pour arrêter l'intelligence sur un objet déterminé et la contrain- dre à persévérer dans l'étude malgré les difficultés, l’insuccès

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immédiat, le dégoût ; influence de direction et de recherche pour aborder un sujet nouveau ; (3) influence de perfection dans la connaissance, car la volonté, en concourant à l’acte d’intellec- tion, peut rassembler les efforts de toutes les facultés cognitives et les concentrer sur le même objet (4) ; influence de sécurité enfin dans les conclusions déduites car la volonté qui aime réel- lement la vérité, écartera la précipitation, les préjugés d'où si souvent nait l'erreur.

Ainsi de quelque côté qu'on l’envisage, la connaissance secon- daire et réfléchie dépend de la volonté. Ce n'est pas elle qui connaît. L'évidence d'une vérité est perçue par l'intelligence

(1) Cum possit distingui cogitatio generaliter in primam et secundam, de prima probo quod non potest esse in potestate voluntatis. Quia aliqua cogitatio præcedit necessario omne velle. Sed quod præcedit omne velle et est prius, natura saltem, non est in potestate nostra. Hoc etiam dicit Augustinus : non est in potestate nostra quin visis tangamur. 11 Sent., dist. XLII, q. 4, 5.

(2) Suficiens causa cujusque intellectionis est intellectus agens, et intellectus possibilis et objectum imprimens, sicut patet in prima intellectione intellectus, ubi voluntas non concurrit, nec aliquid aliud praeter illa agit per modum naturae. Coilat. II, 7.

(3) Voluntas sua actione avertit intellectum a consideratione unius objecti et con- vertit ipsum ad considerandum aliud objectum. Jbid.

(4) Quando intellectus intelligeret aliquid, si esset operatio voluntatis circa idem, et imaginatio circa idem imaginabile et sensus circa idem particulare, ut puto

quod esset praesens, perfectior esset intellectio, quia potentiae distinctae circa diversa remittuntur in actionibus suis, Z7 Sent., dist. XZZ1, quæst. 4, 12.

DUNS SCOT ET LE MODERNISME 13

seule et l’acte cognitif est formellement l’œuvre exclusive de l’es- prit. Néanmoins, exception faite des vérités qui, comme les vérités premières, sont si parfaites et si actuelles qu’elles livrent d’emblée tout leur contenu, l'intelligence doit s'appliquer, pour les connaître plus clairement, aux connaissances spontanées que lui fournit l’expérience. se trouve le rôle, rôle domi- nateur, de la volonté sur l'intelligence. Par l’amour naturel qu’elle porte au vrai, elle entraîne l'esprit, le fixe sur son objet, lui donne une force nouvelle, une intensité d'action plus féconde. Rivé à son objet sous l'influence de l’amour, l'esprit transpose ses connaissances spontanées confuses en pensées claires, ses données imparfaites en vérités précises. Tel est donc le rôle de la volonté dans l'acte de connaître : commander à l'esprit, lui fixer un objet, l'empêcher de continuer un acte commencé. (1) Ce domaine sur l’acte intellectuel et Duns Scot n’en recon- naît pas d’autre constitue en faveur de la volonté une Pri- mauté indéniable.

Cette primauté apparaît encore dans une lumière plus grande, si l’on considère le’ rôle de la volonté dans l'ordre moral.

Tout le domaine de la moralité est livré à son empire. Evi- demment elle ne crée point la distinction du bien et du mal, elle ne détermine pas elle-même l’ordre obligatoire des relations morales. Mais descendons du monde idéal du devoir dans le monde concret de l’activité humaine. se trouve la cause réelle de la moralité de nos actions personnelles ? N'est-ce pas dans la volonté? Le bien et le mal n'existent dans l’ordre con- cret que par l’acquiescement de la volonté libre au dictamen impératif de la conscience. ‘l'ant que cet acquiescement intérieur n'existe pas, il n’y a pas d'acte moral, il n’y a ni bien n1 mal, ni mérite ni démérite. La moralité prend donc naissance avec l'acte de la volonté. C’est même de qu’elle descend et découle sur tout le reste de l’activité. L'œuvre de la pensée n’est bonne ou

(1) Dicoigitur quod una intellectione intellectus existente perfecta, possunt ibi esse multae confusae et imperfectae, nisi illa intellectio esset ita perfecta et actualis quod non pateretur secum aliam ; illis ergo contusis et impertectis existentibus, po- test voluntas.... complacere in qualibet earum.... et voluntate complacente in aliqua intellectione, confirmat illam et intendit. 1lla igitur quae fuit remissa et imperfecta, fit per istam complacentiam perfecta et intensa et sic potest imperare cogitationem et convertere intellectum ad illam. Voluntate autem nolente aliam intellectionem et non complacente in ea, illa remittitur et desinit esse, 1 Sent., dist. AXZTIT, quæst. 4, 11.

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mauvaise moralement que dans la mesure elle participe à la bonté ou à la malice de l'acte de la volonté qui la commande. C'est encore par la volonté que la moralité pénètre dans le jeu de l'imagination, dans l'usage des sens et en un mot dans le mécanisme des puissances de la nature. (1) Et il en est ainsi parce que, seule parmi nos facultés, la volonté a le privilège de se déterminer elle-même, d’agir librement.

Aucun scolastique ne lui refuse cette prérogative ; cependant, entre tous, Duns Scot en accentue la noblesse et l'importance. L'indépendance psychologique de la volonté n’est plus, pour lui, un mode particulier d'activité, en certaines circonstances don- nées ; ilen fait la modalité essentielle de toute l’activité volon- taire et brise les liens par lesquels l’école thomiste rend la volonté vraiment trop captive de la raison. Sans méconnaître la vérité de l'axiome « nil volitum quin præcognitum », en fai- sant même de l'élément cognitif une partie intégrante de l'exercice de la volonté qu'il définit : appetitus cum ratione liber, le docteur subtil, rend à cette faculté un domaine absolu sur tous ses actes. La nécessité ne l’enserre jamais. Même en face du bien absolu, son indépendance est sauvegardée. Elle l’aime et le veut infailliblement, mais d’elle seule pourtant vient cet acte d'amour et de vouloir. Nul déterminisme qui la meuve du dehors, nulle influence nécessitante de motifs qui la meuve du dedans. Une tendance de nature la porte au bien ; la même tendance l’éloigne du mal. Au bien elle ne peut donner que son amour, au mal sa haine, si elle exerce son activité, mais rien ne la nécessite à agir. Absolument parlant, il est en son pouvoir de ne faire ancun acte positif, nec velle, nec nolle. (2)

Cette indépendance souveraine ennoblit étrangement la volonté et l’élève au-dessus de l'intelligence. L'activité intellectuelle n’é-

(1) Sicut movendo recte potentias inferiores, actus earum sunt recti, rectitudine participata, ita etiam per oppositum, movendo non recte, sunt actus earum non rec- ti. Quam rectitudinem debet voluntas illis dare. Et ita movendo eas non recte, privat eas illa rectitudine. Et hoc habetur expresse ab Anselmo. Loquens in forma alia- rum potentiarum dicit : « dedisti nobis dominum cui obedire non possumus. etc. et dicit quod (voluntas) movet alias potentias in nobis sicut instrumenta. Ex quo etiam sequitur quod nullus actus possit esse malus, etiam materialiter, nisi qui potest imperari ab actu voluntatis formaliter malo. ZI Sent., dist. XLII, quæst. 4 2.

(2) Dico ergo quod voluntas sic determinatur ad volendam beatitudinem et ad nolendam miseriam quod si eliciat aliquem actum circa ista objecta, necessario et determinatum elicit actum volendi respectu beatitudinis et nolendi respectu mise- riae, Non autem absolute determinetur ad unum actum eliciendum vel alium. IV Sent., dist. XLIX, quaest. 10, 9.

Et

DUNS SCOT ET LE MODERNISME 15

chappe point aux étreintes de la nécessité. A la présence des

objets sensibles, le mécanisme de la pensée se décroche naturel- lement. Plus tard les axiomes et les principes rationnels domi- nent l'esprit et lui tracent un chemin rigide par passent ses jugements et ses raisonnements. Bref, la pensée est dépendante et le vouloir est libre ; l'intelligence est déterminée et la volonté se détermine elle-même ; l'intelligence est esclave du vrai et la volonté se dirige elle-même vers le bien; l'intelligence est la noble servante de la volonté mais la volonté est la très noble maîtresse qui gouverne l’activité humaine, domine psychologi- quement sur la pensée et donne aux actes de la pensée, comme aux opérations des autres facultés, leur caractère moral. A la volonté par conséquent une Primauté réelle dans tout le do- maine de notre activité : voluntas est motor in toto regno animae et omnia obediunt sibi.

I se peut qu’un philosophe, formé à l’école de saint Thomas, n'accepte pas cette doctrine. Mais ce que le respect de la vérité lui défend, c’est d'identifier et même de rapprocher la Primauté de la volonté enseignée par Duns Scot et le Primat de la volonté et de l’action, tels que le conçoivent les philosophes modernes. Il n’y a même aucune ressemblance entre les positions du doc- teur subtil dans la solution de ce problème, et le point de vue s’est placé M. Blondel, dans son livre « L'action » et ailleurs. S'il connaît une Primauté de la volonté, il ignore le Primat de l'action.

Aussi loin de trouver entre la Primauté scotiste de la Volonté et le Primat moderniste de l'Action, quelque trait commun, un esprit dégagé de tout préjugé n’y découvrira qu’opposition. On s'en convaincrait sans peine à considérer simplement les pages, où, ex professo, Duns Scot traite la question de la Primauté de la volonté : Utrum potentia sit nobihor, intellectus an voluntas ? Saint Thomas la pose presque dans les mêmes termes : Utrum voluntas sit altior potentia quam intellectus ? À ceux qui, de son temps, répondaient affirmativement, le docteur angélique oppo- se une distinction. Sous un certain angle, secundum quid, oui, la. la volonté est plus élevée, plus noble que l'intelligence, mais cependant en soi, secundum se, et pour donner une solution commune, simpliciter, la primauté d'honneur revient à l'intelli- gence. (1)

(1) Secundum se et simpliciter intellectus est altior et nobilior voluntate .. Secun-

16 DUNS SCOT ET LE MODERNISME

Placé sur le même terrain, conceptualiste-réaliste, que son illustre devancier, le docteur subtil étudie la preuve qu'il a lue dans la Somme théologique. Cette preuve, fondée sur la préémi- nence de l’objet de l'intelligence, plus simple, plus absolu, plus abstrait que celui de la volonté ne lui semble pas probante. De la comparaison entre les ojets des deux facultés, 1l ne voit sor- tir aucune conclusion précise. (1) Au contraire sa pensée in- cline vers la doctrine de la Primauté de la volonté, lorsqu'il considère la noblesse des habitudes dont elle peut être enrichie, spécialement de la charité surnaturelle. (2) Son jugement s’affer- mit à la vue de l'influence des actes volitifs sur l’activité de l'intelligence, dépendante de la volonté dans son exercice le plus fréquent (/bid. 16). Sa conviction s’enracine au souvenir du rôle de la volonté dans la vie humaine. N'est-ce pas elle qui rend l’homme vraiment grand, en le soumettant à la loi du devoir, en l’attachant, par les liens de l’amour à la vertu et à la sainteté ? (Zbid, 17). N'est-ce pas ce qu’enseigne aussi, en contre-preuve, le fait du péché ? Si vraiment corrurptio optimi est pessima, qui voudrait refuser à la volonté une noblesse supé- rieure à celle de l'intelligence, devrait conclure que l'erreur involontaire est plus monstrueuse que le mal moral formel et pleinement volontaire (Zbid, 19). D'autre part, la dépendance de la volition à l'égard de la pensée ne s'oppose point à la Pri- mauté de la volonté. En deux mots, le docteur subtil tranche la difhculté que l’on agitait déjà de son temps. Entre les deux facultés maitresses de l'homme, il v a, si l'on veut, réciprocité d'action ou plutôt de dépendance et de relation, mais l'intellec- tion dépend de la volition comme d’une cause supérieure, tandis que la volition dépend de l'intellection comme d’une cause auxiliaire. (3)

Duns Scot, on le voit, ne méprise point les sources intellectu- alistes ses adversaires ont puisé leurs arguments. Îl y va chercher lui-même la matière de ses propres raisonnements : il

dum quid autem et per comparationem ad alterum voluntas invenitur interdum altior intellectu. Sum. Theol. Pars Ia, quaest. LXXXIT, a. 3.

(1) Cf. IV Sent., dist. A LIN, quaest. 4, 10-13,

(:) Hoc medium (demonstrativum) videtur magis concludere pro voluntate, ma- xime loquendo de habitibus intusis quae disponunt ad beatitudinem illam veram de qua loquuntur Theologi. Jbid. 14

(5) Intellectus dependet a volitione, ut causa partiali sed superiori ; e converso autem voluntas ab intellectione ut a causa partiali, sed subserviente, ZV Sent., dist. XLIX, quaest. 4 (ex latere) 18.

DUNS SCOT ET LE MODERNISME 17

argumente comme eux, ex objecto, ex habitibus, ex actibus, ex relationibus. Qu'y a-t-il de plus foncièrement scolastique, de plus strictement conceptualiste ? À moins d'admettre que la di- vergence d'opinion, sur un point discutable de doctrine, après tout secondaire, entraîne un changement total dans l'orientation de la pensée et amène un système de philosophie tout nouveau, on ne trouvera pas la moindre trace de modernisme dans cette doctrine de la Primauté de la volonté. Rien donc qui la rappro- che des théories défendues par les Pragmatistes et les Bergso- niens. Pour le prétendre sans parti pris, pour voir dans la Primauté de la Volonté, selon Duns Scot, une ébauche du Primat de la volonté et de l’action des temps nouveaux, il faut nécessairement être victime de « la piperie des mots. »

II

Piperie des mots encore le second reproche échappé à la plume de M. Richard. Il écrit : « Faire de la théologie une science simplement pratique, c'est poser un principe dont il n’est pas difficile de tirer des conclusions anti-intellectualistes. On sait que ces conclusions, des auteurs plus ou moins moder- nistes les ont tirées. »

Que l’on puisse tirer des conclusions anti-irtellectualistes de la doctrine enseignée par Duns Scot— qui attribue à la théolo- gie un caractère de connaissance pratique, Je le concède. T'out est possible, mais il reste à savoir si cette déduction est faite suivant les exigences de la logique, et si, de fait, la pensée moderniste a trouvé son anti-intellectualisme dans une argumentation de ce genre. Commençons par ce second problème et sans ambage di- sons ce que l’histoire du modernisme proclame très haut.

Loin d’avoir tiré son anti-intellectualisme de la doctrine qui fait de la théologie une science pratique, le modernisme n’a voulu donner à la théologie qu’une valeur pratique parce qu'il était anti-intellectualiste. On a pu s’en convaincre par l’esquisse faite plus haut de la philosophie moderne et modernisante. Qu'il me soit permis encore d’insister sur ce sujet. Quelques pensées et quelques textes empruntés au livre de M. E. Le Roy, Dogme et critique, sufliront d'ailleurs au but que je me propose.

Entre notre siècle et les siècles passés grande est la différence. « Nous ne sommes plus au temps des hérésies partielles... La négation ne s'attaque pas aujourd hui à tel dogme plutôt qu’à

E. F,. XXIX. 2

18 DUNS SCOT ET LE MODERNISME

tel autre. Elle consiste surtout en une fin de non-recevoir préli- minaire et globale. On ne discute pas si telle proposition est un dogme ou non. C’est l’idée même du dogme qui répugne et qui fait scandale. Pourquoi cela ? »

À cette question qu'il pose, M. Le Roy répond lui-même. Toutes ses réponses se ramènent à l'opposition de « la pensée moderne» et de la philosophie scolastique qui a coulé les dogmes dans le moule des formules aristotéliciennes. La pensée moderne ne peut plus s’accommoder avec la conception intellectualiste des dogmes « que le travail de la psychologie et de la critique a définitivement ruinée ». À la conception ancienne doit se substi- tuer une conception nouvelle. En voici les deux caractères les plus nets. « Un dogme a d’abord un sens négatif. Il exclut et condamne certaines erreurs plutôt qu’il ne détermine positive- ment la vérité. » Dogme et critique, pag. 19. Si les dogmes for- mulaient la vérité absolue en termes adéquats, ils seraient inintelligibles pour nous. S'ils ne donnaient qu’une vérité imparfaite, relative et changeante, ils ne pourraient pas légiti- mement s'imposer. » Jbid. p. 23.

Toutefois un dogme n’a pas seulement un sens négatif. « I] a surtout un sens pratique. Il énonce avant tout une prescription d'ordre pratique. Il est plus que tout la formule d’une règle de conduite pratique. est sa principale valeur, sa signification positive. » Zbid. p. 25. C’est d’ailleurs dans la pratique, dans l’action, dans la vie, dans l'expérience religieuse personnelle que le dogme prend une signification précise. La pensée ne peut pas se figer en des formules mortes. Dans son application aux dogmes, la démarche qui lui convient, c’est « celle d’épreuve d'expérience vécue et non pas de dialectique intellectualiste. » Zbid. p. 31.

Le christianisme en nous imposant des dogmes ne nous impo- se donc point, même indirectement, un système de philosophie. « Aussi le catholique obligé de les admettre n'est astreint par eux qu’à des règles de conduite, non pas à des conceptions par- ticulières..…. Après les avoir acceptés, il garde toute sa liberté pour se faire des objets correspondants de la personnalité divine, de la présence réelle ou de la résurrection, par exemple, telle théorie, telle représentation intellectuelle qu’il voudra. Une seule chose lui est imposée, une seule obligation lui in- combe : sa théorie devra justifier les règles pratiques énoncées par le dogme. » Jbid. p. 32.

De cette conception nouvelle des dogmes, l’unique raison,

DUNS SCOT ET LE MODERNISME 19

M. le Roy le redit sans ambages, en terminant son article fameux, c’est que « la conception intellectualiste courante ou scolastique aujourd’hui rend insolubles la plupart des objec- tions que soulève l’idée du dogme. » Zbhid. p. 34. A travers les pages nombreuses qu’il consacre à la défense de cette doctrine, l’auteur revient sans cesse à ce thème fondamental.

On peut donc, sans crainte, affirmer que ce n'est point d’une conception préalable du caractère pratique de la théologie que les modernistes ont tiré des conclusions anti-intellectualistes. Pour le prétendre, il faudrait avoir une connaissance bien super- ficielle du mouvement intellectuel des vingt dernières années. La pensée philosophique a été profondément troublée par l’influ- ence de Kant. On tient en suspicion l'intelligence abstractive. Aux concepts qu'elle engendre on n'’attribue qu’une valeur pro- visoire. On diminue le domaine de la raison théorique pour augmenter celui de la raison pratique. Les philosophes moder- nes ont, depuis longtemps et sans trop de peine, livré au pillage le musée des formes a priori et des catégories de l’entendement édifié par Kant, mais ils ont gardé l’esprit qui animait tout le mécanisme du kantisme, le relativisme de la connaissance spé- culative et la suprématie de la morale avec le Primat de l’Action. Au fond du bergsonisme et du pragmatisme résonne l'écho des doctrines du philosophe de Kænigsberg. Il se répercute avec des nuances à travers les ouvrages des modernistes. Leur théo- logie ne veut plus voir dans les dogmes qu’une doctrine pra- tique parce que leur philosophie est nettement anti-intellectua- liste. C’est une question de fait.

* * *

Ne pourrait-on pas, maintenant, dans le domaine si vaste de la possibilité, se demander si « faire de la théologie une science simplement pratique ne serait point poser un principe dont il ne serait pas difficile de tirer des conclusions anti-intellectualistes. » M. Richard l’affirme et son affirmation est un trait décoché à Duns Scot.

D’après le docteur subtil en effet, la théologie est une con- naissance pratique. L’attention très spéciale qu'il accorde à cette question, d'apparence secondaire, laisse entendre qu’elle était très agitée dans l’École. Deux courants d'opinion partageaient les esprits : les uns avec Henri de Gand, ne voyaient dans la

20 DUNS SCOT ET LE MODERNISME

théologie qu’une science spéculative ; les autres à la suite de saint l'homas ne lui refusaient point un caractère pratique mais comme secondaire et dérivé. (1).

Au jugement de Duns Scot, ces deux positions ne sont pas solides. IT lui semble plus juste d'enseigner que la théologie est une connaissance d'ordre pratique.

Et pourquoi d’ordre pratique ? Est-ce parce que les dogmes révélés ne peuvent se traduire légitimement en concepts méta- physiques et en formules intellectualistes ? Est-ce parce que leur contenu est plutôt négatif que positif? Est-ce parce que leur expression dans le langage humain n’a qu’une valeur métapho- rique? Est-ce parce que la vérité qu'ils contiennent n’est qu’un germe de vieet d'action, capable de créer en nous de simples expériences religieuses et de diriger notre volonté ? Nullement.

La doctrine de Duns Scot s'inspire de raisons toutes diffé- rentes, de raisons intellectualistes, appuyées sur la Révélation et la Tradition. Quiconque ouvrirait la «Quaestio IV » du Prolo- gue de ses Commentaires sur les Sentences de Pierre Lombar s’en rendrait compte aisément. Avant d'aborder la solution du problème, Duns Scot écrit tout un traité d’allure aristotélicienne sur la «connaissance pratique ». J’en résumeleslignes principales.

Est pratique, suivant le sens commun, la connaissance qui dirige l’agent vers « une pratique », c’est-à-dire, vers un but à atteindre, vers une fin à poursuivre, vers une action à produire. Dans la série ordonnée de nos opérations et d’après le jeu psy- chologique de nos facultés, la connaissance pratique ne dirige que les actes de la volonté, actes élicites dont l'exercice est enter- dans le sanctuaire intérieur de la volonté même, actes impé- rés exécutés par les autres facultés soumises à l’empire direct de notre vouloir. Dès lors la connaissance pratique précède au moins d’une priorité de nature l'acte de la volonté et cet acte lui-même doit être susceptible de se conformer à la raison direc- tive. (2) Pour être pratique d’ailleurs, la connaissance ne réclame

(1) Omnis scientia practica est de rebus operabilibus ab homine, ut moralis de actibus hominum, et æditicativa de ædificiis. Sacra autem doctrina est principali- ter de Deo cujus magis homines sunt opera. Non ergo est scientia practica, sed ma- gis speculativa. Sum. Th. Pars Ia, quaest. [, art. 4.

(2) Ad istas quæstiones solvendas, accipio unum generale, quod ab omnibus conceditur, quod habitus practicus aliquo modo extenditur ad praxim... Dico igitur quod praxis ad quam cognitio practica extenditur est actus alterius potentiae quam intellectus, naturaliter posterior intellectione, actus elici conformiter rationi rectæ, ad hoc ut sit actus rectus. {1n Prolog., quaest. 4, 3.

DUNS SCOT ET LE MODERNISME 21

pas une direction spéciale vers la pratique. Il suffit que son objet puisse être en même temps l’objet d’un mouvement de la volonté et le terme de son activité.

De ces principes l'application à la Théologie est facile. Qu'on la considère avec l’ensemble des vérités nécessaires ou avec son cortège de vérités contingentes, elle nous présente toujours Dieu. Elle le présente à notre foi, mais la foi n’est pas un acte purement spéculatif de notre esprit : elle est ordonnée à la vision et la vision à la fruition. (1) Elle le présente donc comme l’objet vers lequel tend notre volonté. Sans doute la Théologie et la Révélation en- seignent beaucoup de vérités dogmatiques qui, par elles-mêmes paraissent de prime abord, spéculatives et uniquement spécula- tives. À les considérer de plus près. on leur reconnaîtra un caractère pratique. Toutes concourent à rendre plus conforme à la vérité objective la tendance active de la volonté vers sa fin. Sans ces connaissances, elle pourrait s’écarter du droit sentier, sans responsabilité évidemment, mais néanmoins au détriment de la perfection de ses actes.

Duns Scot en appelle à quelques exemples. Quoi d'apparence plus spéculative que le dogme de la Trinité, que celui dela Créa- tion, que celui de la réparation du péché? Et pourtant il n’est rien qui ne serve davantage à la direction pratique de la volonté. Si nous ignorons la Trinité des personnes, nos actes d'amour n'auront pas toute la rectitude possible, ils manqueront même de la rectitude nécessaire s'ils ont pour objet une personne à l'exclusion expresse des autres. Si nous ignorons que Dieu a créé le monde dans un acte de liberté et de pure bienveillance, ne tomberons-nous pas dans une erreur pratique regrettable, en ne lui payant pas le tribut d'amour et de reconnaissance qu'une telle communication de bonté réclame. Si nous igno- rons les vérités qui concernent le rachat et la réparation du péché, du même coup se trouve encore tarie la source des senti- ments religieux les plus intenses dont le cœur de l’homme puisse être le foyer. (2) Les dogmes qui au premier aspect semblent

(1) Fides non est habitus speculativus nec credere actus speculativus nec visio se- quens credere est visio speculativa sed practica. Nata est enimista visio conformis esse fruitioni et prius naturaliter haberi in intellectu creato, ut fruitio recta illi con- formiter eliciatur. /n Prolog., quaest. 4, 41.

(2) Licet enim Trinitas personarum non ostendat finem appetibiliorem, quam si esset non Trinus, quia est finis in quantum unus Deus, non in quantum Trinus : tamen voluntatem ignorantem Trinitatem, contigit errare, in amando vel deside-

. rando finem, desiderando frui una persona sola. Similiter ignorantem Deum fecisse

22 DUNS SCOT ET LE MODERNISME

purement spéculatifs sont donc vraiment d’ordre pratique. Et ils le sont parce que tous sont susceptibles de servir de phare à la volonté et de la diriger vers sa fin sans erreur et avec un res- pect absolu de la vérité.

A la connaissance théologique, Duns Scot ne veut pas attri- buer, comme saint Thomas l’a fait, un caractère à la fois spécu- latif et pratique. Une trop grande unité domine la Théologie pour que cette théorie puisse être admise. Par une extension accidentelle à l’action qu’elle dirige, la faculté intellectuelle, de sa nature essentiellement spéculative, peut quelquefois s'appeler pratique. Tout autre est la science ou la connaissance prise comme habitus ou comme actus : les termes de spéculatif et de pratique signifient là, des différences essentielles. Donc l’un ou l’autre ; il faut choisir. L’hésitation n’est pas possible. La théo- logie est vraiment une connaissance pratique, car elle dirige la volonté humaine vers Dieu, fin béatifique que les créatures rai- sonnables sont appelées à posséder par l’amour.

De cette doctrine scotiste est-il possible de tirer des conclu- sions anti-intellectualistes ? J’ai beau relire les pages dont je viens de traduire les pensées essentielles, je n'arrive pas à trou- ver la conséquence que M. Richard prétend y avoir découverte. Partout je vois l’intellectualisme régner en maître et l’esprit qui a conçu cette forte dissertation, loir de vouloir en fuir l’étreinte, lui accorde par ses distinctions aristotéliciennes, un empire aussi absolu que possible. Il serait donc bien étrange que de puisse sortir l’anti-intellectualisme. Une conclusion ne peut légitimement découler que d’un antécédent qui la contienne vir- tuellement. Sans prendre des airs provocateurs, nous pouvons mettre qui que ce soit au défi de nous montrer dans la doctrine du docteur subtil sur le caractère pratique de la théologie une prémisse qui contienne des conclusions anti-intellectualistes.

Cependant M. Richard nous en donne l'assurance ; « ces conclusions des auteurs plus ou moins modernistes les ont tirées. » J’en demande pardon à l’auteur, mais il intervertit in- consciemment l’ordre et la marche des idées. C’est de leur anti-

mundum contingit errare, non rependendo amorem, qualem gratitudo requireret propter tantam communicationem bonitatis suae, ad utilitatem nostram factam. Îta ignorando articulos pertinentes ad nostram reparationem, contingit ignorantem er- rare, etiam non rependendo amorem debitum pro tanto beneficio et ita de aliis Theologicis. In Prolog., quaestio 4, 20.

DUNS SCOT ET LE MODERNISME 23

intellectualisme que les modernistes ont tiré la conclusion : les dogmes n'ont qu'une valeur d'action, et la théologie n’est qu'une science pratique. Je l'ai montré assez clairement quel- ques pages plus haut.

En vain pour appuyer son jugement, M. Richard en appelle- +-il à une note ajoutée par M. Le Roy à son livre « Dogme et critique » (pag. 377). Sous forme d’une « Lettre d’un probabi- liste a M. Le Roy, » un correspondant anonyme qui, selon son aveu ingénu, n’a pas lu Duns Scot « et a se résigner à suivre la pensée du docteur subtil à travers les Commentaires de son Ecole » attribue au Maître franciscain « écrites dans la langue du XIII: siècle, une doctrine scolastique du primat de l’action et une conception du dogme qui n’est pas la conception intellec- tualiste courante. » (pag. 377). Et ce « Probabiliste » cite Frassen avec Pierre Auréolus et Henri de Gand. M. Le Roy, au cours de son livre, avait lui-même invoqué Duns Scot et la Théologie séraphique et Frassen. (pag. 123-124)

Que valent ces appels que M. Richard prend pour des déduc- tions ? Toute la valeur d’une citation inintelligente. M. Le Roy et son correspondant n'ont rien compris aux textes de Frassen dont ils prétendent se servir, pas plus qu'aux textes de saint Thomas, semés çà et là, au travers de l'ouvrage « Dogme et critique ». Car M. Le Roy, qui ne cite point Duns Scot, cite le docteur angélique. Il en a lu au moins quelques pages et se retranche derrière son autorité. M. Le Roy a lu aussi et il cite les actes du Concile du Vatican, et les Evangiles et les Épiîtres de saint Paul. À son avis, sa conception nouvelle des dogmes s’alimente même à ces sources très pures. N’aurais-je pas un parfait succès de ridicule, si j'allais prétendre que ces témoi- gnages, cités par un moderniste en quête d’autorités pour fortifñier sa thèse, sont recevables et que du Concile du Vatican, des Évangiles et des Epiîtres de saint Paul, il n’est pas difficile de tirer des conclusions anti-intellectualistes. Quelle différence pourtant y aurait-il entre cette prétention et celle qu'affiche M. Richard dans son article !

Entre la doctrine scotiste qui « fait de la théologie une science pratique » et le modernisme anti-intellectualiste, il y a un abîme. Ceci n’est pas engendré par cela. L’histoire du mouvement mo- derniste proteste contre toute tentative de rapprochement sem- blable. Qui voudrait quand même l'essayer ou n’en tirerait rien ou se laisserait griser par l'apparence, «la piperie des

24 DUNS SCOT ET LE MODERNISME

mots. » Grâce à la piperie des mots, les doctrines les plus oppo- sées peuvent avoir un certain air de famille : les esprits naïfs ou. intéressés s’y laissent prendre ; les sages y regardent avec plus d'attention.

Ainsi des deux accusations portées contre la doctrine de Duns Scot par M. Richard, aucune n'est fondée. La Primauté scotiste de la volonté n’a rien de commun avec le Primat moderniste de l’action. Aucun lien ne rattache l’anti-intellectualisme moder- niste à Ja thèse qui fait de la théologie une connaissance prati- que. Pour jeter le discrédit sur le docteur subtil et rendre sa pensée suspecte de modernisme, d’autres arguments seraient nécessaires. Ceux que nous avons combattus dans cet article ne sont vraiment que « piperie de mots. »

(A suivre.) Fr. RAYMOND O. M. C.

LE RATIONALISME

ET LA

CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE (1)

Depuis cinquante ans, M. L. CI. Fillion s’adonne aux études bibliques et ses commentaires sur les Évangiles remontent à une trentaine d'années. [létait donc parfaitement qualifié pour entre- prendre d’explorer l’œuvre abondante et compliquée du ratio- nalisme biblique contemporain et d’en dégager les vues d’en- semble, les procédés, les résultats. Au courant, depuis de longues années, des positions successives adoptées par la critique, dite indépendante, vis-à-vis de l’histoire évangélique, il était encore préparé d’une façon plus immédiate à ce travail, par diverses études publiées par lui récemment. Travail difficile, puisqu'il fallait rendre suffisamment la variété presque infinie des systèmes et des ouvrages, pour donner un exposé objectif, et, tout à la fois, dominer d’assez haut cette littérature innombrable, autant que broussailleuse, pour parvenir à des vues synthétiques et à des conclusions d'ensemble. Un livre qui, en 350 pages, propose, dans une complexité suffisante, les résultats d’une aussi vaste enquête ne peut manquer d’être fort compact et d’une lecture quelque peu dure, surtout si l’on veut lire, en plus du texte, relativement bien dégagé et désencombré, les notes bourrées de noms, de dates et de titres de livres, de brochures et d'articles. I! le faut faire, d’ailleurs, et on n’y perdra pas sa peine.

Combien, en effet, cette lecture est instructive! Et, tout d’abord, par l’amas énorme de renseignements utiles et souvent

(1) L. CI. Fillion : Les Étapes du rationalisme dans ses attaques contre les Évangiles et de la vie de N. S. J.-C. 1 vol. in-12° de VI-364 pages. Lethielleux, Paris, 1911.

26 LE RATIONALISME

précieux ; il faut signaler spécialement les brèves notes biogra- phiques, dont l’auteur dit à bon droit, qu’elles sont aussi intéres-. santes que difficiles, parfois, à réunir.

Mais l'intérêt d’un pareil travail réside aussi, et surtout, dans le tableau en raccourci, très suggestif, qui en résulte, et constitue, peut-être, la meilleure critique et l’une des plus efficaces, qu’on puisse faire de l’œuvre destructrice de cette indigeste et préten- tieuse « science allemande » appliquée à l’étude des évangiles.

On est vite frappé, en effet, et dès le début de cette longue histoire littéraire elle s'étend à une période de 135 années des redites continuelles, et du petit nombre d'idées, et de sup- positions que la fantaisie d’outre Rhin a su imaginer. Reimarus et Paulus, Strauss et Baur auxquels il faut joindre l’anonyme saxon et, dans la série des extrémistes et des « agités » grossiers, Bahrdt et Ventarini n’ont laissé aucune explication originale à trouver, non seulement aux écrivains de leurs écoles, mais aux critiques adoptant des théories d'ensemble toutes différentes.

Jai ditici, naguère, la malicieuse insistance avec laquelle M. Lepin rapprochait des développements de M. Loisy sur le IV?= Évangile, de nombreux passages de Strauss. Le critique indé- pendant, comme aussi la grande majorité des autres critiques indépendants d'aujourd'hui, mériterait la qualification de « cons- cious imitator » qu’un érudit anglais attribuait, il y a quelques années à l’auteur de l’Ecclésiastique, à moins qu'on ne préfère retourner à l'adresse de M. Loisy, avec de légères modifications, ce qu’il nous dit du quatrième Evangile et de son rédacteur : de ses livres, petits et gros, la littérature rationaliste allemande « a fourni les éléments ; la combinaison s’est faite comme d’elle- même dans l'esprit (de l’auteur), pour qui (la réminiscence) était devenue la forme ordinaire de la réflexion » et de la recher- che scientifique.

Et non seulement, les critiques contemporains empruntent fidèlement leurs idées et leurs explications à ceux qui les ont précédés, souvent sans distinction d'écoles, mais on peut dire que cette fidélité à emprunter les idées déjà émises est une tradi- tion ancienne autant qu'universelle parmi les rationalistes. Les auteurs de la « deuxième étape » doivent déjà presque tout à ceux de la première et quelques-unes des théories les plus « originales » de Strauss avaient été exposées, par Herder, près de quarante ans avant l'apparition de la « Vie de Jésus ».

La constatation ne laisse pas d'être contrariante pour des

ET LA CRITIQUE DE L’HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 27

professeurs et des écrivains, qui pour la plupart, visent à l’origi- nalité, au détriment, parfois, de toute autre considération. Est- elle de nature à diminuer, ou annuler, la portée scientifique des théories et des objections continuellement ressassées? De ce que des critiques, de tendances si diverses, occupant des positions parfois très éloignées, en reviennent toujours à des explications toujours les mêmes ou à des hypothèses identiques, ne peut-on pas conclure plutôt en faveur de la justesse des explications et de la vraisemblance des hypothèses ?

En réalité, avec ses redites continuelles, dès le début, la cri- tique rationaliste donne l'impression, non d’un effort continu et prolongé au moins dans ses grandes lignes vers un but, sans cesse mieux aperçu et approché de plus près ; mais d’une vaine agitation, en un cercle restreint et rapidement, autant que définitivement fermé. Elle n'apparaît pas comme un grandiose mouvement d'idées évoluant vers plus de lumière, mais comme un chaos d’hypothèses, peu nombreuses en définitive mais en- trant dans les combinaisons les plus diverses nuages aux contours imprécis et aux teintes ternes planant lourdement sur une terre remuée jusqu'à l’émiettement, sur une plaine morne cultivée en ses moindres recoins par un utilitarisme savant, mais sans idéal et sans art.

Dans la littérature rationaliste on trouve une certaine variété, assez limitée d’ailleurs, de procédés et de méthodes, mais pour- quoi théories, explications, hypothèses reviennent-elles, comme des éléments interchangeables, dans les divers systèmes mythi- ques ou naturalistes, évolutionnistes ou syncrétistes, systèmes bien différents, qui, tout au moins, s'opposent les uns aux autres?

Serait-ce que le résultat seul importe, à savoir la ruine de la valeur historique des Évangiles ? Serait-ce que, pour enlever à la grande physionomie du Christ son rayonnement divin, les recherches savantes et les groupements ingénieux d’hypothèses ont peu de valeur, puisqu'il y suffit d’un principe absolu, indé- montrable, planté comme un fétiche au début de cette longue route : l'impossibilité, l’inexistence du surnaturel. Ce fétiche, on le retrouve au terme, sous forme de conclusion ; on n’y est pas amené par des déductions logiques ou des inductions scien- tifiques, on y arrive au moyen d’une pétition de principe par un cercle vicieux.

Une autre observation que suggère la lecture attentive du livre de M. Fillion c’est que les idées à priori, les hypothèses des

28 LE RATIONALISME

rationalistes non seulement dominent l'étude scientifique des textes, ce qui reste admissible ; mais la conditionnent entière- ment. Leurs conclusions sont en rapport étroit non avec les faits observés, mais avec leurs idées préconçues idées qui ont pour eux un caractère absolu, et qu'ils ne démontrent nullement. Leur travail de critique textuelle ou historique souvent précis jusqu’à la minutie, appuyé d’une surabondante érudition, ne laisse pas d’être parfois admirable et riche en résultats précieux mais il se poursuit indépendamment de l’enchaînement de leurs hypothèses, de leurs inductions, sur une ligne parallèle. Leurs conclusions destructives se trouvent rattachées par un lien logique, non aux résultats scientifiques de la critique ; mais, exclusivement, au développement idéologique des principes des critiques je veux dire, de leurs préjugés rationalistes.

est la raison profonde de la faiblesse des arguments que les critiques modérés opposent aux extrémistes. Les premiers appa- raissent sincèrement révoltés des exagérations et des brutales affirmations des seconds ; maïs ceux-ci triomphent aisément en répliquant que seuls ils sont logiques. Et, en effet, leurs conclu- sions extrêmes, peuvent paraître ridicules au point de vue de la critique historique ou littéraire, elles n'en représentent pas moins l’aboutissement normal des principes communs. De Îlà encore l’embarras visible des premiers, et le manque de netteté de leur défense embarras et incertitude que M. Fillion sou- ligne à plusieurs reprises chez les critiques libéraux et parfois même chez les protestants conservateurs.

Le rôle de l'hypothèse dans la recherche scientifique rôle légitime, encore une fois est ainsi entièrement faussé. L’hy- pothèse est nécessaire pour diriger les inductions, grouper les faits, guider l'observation et l’expérimentation, c’est une intui- tion géniale quelquefois, qui détermine d’avance une loi incon- nue et conduit à la découverte de vérités nouvelles, quand elle a subi avec succès le contrôle des faits et qu’elle a été vérifiée par de longues et minutieuses investigations. Mais l'hypothèse, même devenue loi scientifique, garde son caractère hypothé- tique, provisoire. Elle ne doit jamais étroitement conditionner la libre et consciencieuse observation, déformer les faits, fausser les résultats comme cela se produit habituellement, normale- ment, dans les travaux de la critique rationaliste. De ce fait capital la preuve se trouve presqu’à chaque page de l'ouvrage, et apparaît en une lumière toujours plus vive à mesure qu’on en

ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 29

poursuit la lecture. Et ce fait, à lui seul, ruine par la base tout l'édifice « colossal » élevé laborieusement par les ennemis de la révélation. Nombreux sont les matériaux de prix, et qui restent utilisables pour une autre construction mais la charpente est en mauvais acier, c'est de la « camelotte allemande ».

Nos affirmations, à nous catholiques, pourraient paraître par- tiales, M. Fillion en fournit par son exposé objectif une sérieuse vérification. De plus il apporte un certain nombre de textes les critiques libéraux expriment une idée analogue dans leurs appréciations fort dures, parfois, des critiques radicaux. Ainsi, M. Ad. Jülicher, protestant libéral, appréciant l'ouvrage très radical de Wrede sur le deuxième Évangile, lui recommande d'être encore un peu plus sceptique et défiant, non point par rapport aux évangiles, mais au point de vue de ses propres négations. Îl ajoute : « Celui-là est loin d’une critique véritable, qui fait de longs travaux sur les récits évangéliques, occupé à transformer, à atténuer, à retrancher, jusqu'à ce que le résidu obtenu soit au gré de sa propre raison » (pp. 169, 170). On ne saurait mieux dire, mais 1l faut ajouter que cette remarque sévère s'applique également, bien qu’en moindre proportion, aux cri- tiques de la nuance de M. Jülicher et à de plus modérés encore. Quelques lignes avant cette citation, nous en lisons une autre {p-. 169) empruntée à M. J. Weiss, protestant libéral, lui aussi : «la science historique a accompli un travail de géant... » le rapprochement vaut tout un poème.

En lisant le livre de M. Fillion on est plus d’une fois tenté de grouper les écrivains rationalistes en deux catégories : les théori- ciens, les idéologues et les savants, ceux qui s’adonnent sérieusement à l'étude des textes. Dans la première catégorie on pourrait ranger à peu près tous les auteurs appartenant aux trois premières étapes, et Strauss lui-même qui ne se mit que sur le tard, et sans le moindre enthousiasme, à l’étude des sources (p. 127). Les savants, les érudits se rencontrent surtout parmi les contemporains (1) et les ouvrages de valeur, dus à des ratio- nalistes, dans le domaine de la critique textuelle ou de la critique historique, ne remontent guère au delà de la seconde moitié du XIX° siècle. Dans l’histoire du rationalisme biblique, les idées tendancieuses, les idées toutes faites sont à l’origine et la théorie

(1) Il convient de faire exception pour Baur et son ecole.

30 LE RATIONALISME

avait déjà eu plusieurs éditions remaniées, quand on se préoc- cupa de lui donner une base scientifique. (1)

Mais cette distinction entre les théoriciens et les savants, entre la science et les négations du rationalisme, nous l'avons vu plus haut, est plus radicale encore et se peut remarquer chez le même auteur, et jusque dans le même ouvrage. Il était de mode, il y a quelque dix ans, pour d’assez nombreux biblistes catho- liques, d'affirmer une extrême préoccupation d’écarter en eux- mêmes et chez les autres, toute réaction exagérée du théologien sur l’exégète ou le critique. Chez les érudits rationalistes les plus consciencieux et les plus modérés, il y a au moins deux hommes et c'est toujours le théoricien qui commande, encore qu'il y ait dans cette tyrannie, des uns aux autres, des nuances et des degrés.

A grouper tous les écrivains, dont nous parle M. Fillion, deux catégories ne suffisent pas. Îl en faut une troisième pour les vulgarisateurs, qui ne sont n1 des théoriciens, ni des savants, et qui ne sont remarquables que par leur langage prétentieuf leurs affirmations ultrà radicales (p. 242). Parmi eux il se trouve sans doute des hommes intelligents, littérateurs, philosophes ou savants. Mais ils ont fait leurs preuves ailleurs et leur science brille en des domaines très éloignés de celui des sciences bibli- ques. On peut avoir publié un ouvrage considérable, autant que docte et distingué, j'en parle uniquement par ouï dire sur les poteries étrusques et traiter, en quelques pages, de la religion chrétienne, avec une assurance de primaire et une intrépidité d’inconscient. Salomon Reinach s’est indigné qu'on ait trouvé, dans son cas, de l’ataxie ; mais fût-on agrégé de grammaire et porteur d'un nom célèbre, parmi tous les antiquaires, on ne peut prétendre faire œuvre scientifique, ou même raisonnable, en traitant en 600 pages toute l’histoire des religions et en expo- sant, avec cette audace d’affirmation, une science encore à ses débuts.

Je choisis cet exemple, pour le bruit qu'il a fait, mais on en

(1) Un rationaliste contemporain, et qui a traité dans un livre récent le même sujet que M. Fillion, M. Weincl, professeur ordinaire dans une université alle- mande, dit de Strauss qu'il a laissé aux savants qui s'occupent des évangiles et de leurs récits trois tâches principales à accomplir. faire la critique littéraire des sources, étudier plus à fond la personnalité historique de Jésus, établir des recher- ches sérieuses sur le judaisme contemporain du Sauveur et sur le christianisme primitif. Le tout se ramèënerait facilement à une seule chose : étudier sérieusement la question,

ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 31

trouvera cent autres dans le texte, ou les notes, de M. Fillion. Dans cette catégorie des vulgarisateurs, on trouve des hommes venus de tous les points du monde intellectuel, et même du dehors. Chose curieuse, dans leurs brochures et leurs livres, ces hommes si différents, poètes ou philosophes, socialistes ou pro- fesseurs de lycée, pasteurs ou médecins parlent à peu près tous un même langage, celui de la vulgarisation et du pamphlet, sur le ton tranchant du primaire. C’est qu’un même sentiment les anime, la haine du Christ et de son œuvre surnaturelle.

Enfin une quatrième catégorie est nécessaire, on y rangera les écrivains qui prodiguent au Christ les injures les plus graves et les plus méprisables. Parmi eux, quelques-uns sont tout simple- ment des gens grossiers et mal élevés, dont le grand tort est de s'occuper de l’histoire évangélique. Il n’y a, pour eux, dans l'Évangile, qu’une parole : « nolite mittere margaritas vestras ante porcos ». Le cas des autres relève de la médecine : hystéro- épilepsie ou la folie, sous ses diverses formes, c’est qu’il faut chercher l'explication vraie de certaines injures et de blasphèmes maladifs. Leurs ouvrages les rendent justiciables de la psychiâtrie ou de la psychopathologie dont plusieurs ont osé parler à pro- pos de Notre Seigneur (p. 244-245, 342-343). De pareils ouvra- ges n'ont rien à voir avec la critique, ils ne réclament qu’un examen médical. Nietzsche (p. 246) est le personnage le plus représentatif de ce groupe malheureusement trop nombreux. (1)

Il est temps de parler de la manière de l’auteur. M. Fillion nous donne surtout un exposé. Il critique rapidement et surtout en opposant auteurs à auteurs, ou encore en faisant suivre son exposé de brèves remarques. Son exposé ne vaut pas moins par l’heureuse puissance de synthèse de l’auteur, que par son abon- dante documentation, tenue à jour pendant la correction des épreuves et jusqu’au « bon à tirer». [l souligne au passage les caractéristiques des rationalistes de nuance diverse et aussi les indications qui se retrouvent à peu près chez tous : la haine ou au moins la peur du surnaturel ce relent de sectarisme huguenot, ou bigot, comme on dit en Angleterre, qui perce à un moment ou à l’autre, même chez de vrais savants et des critiques relativement modérés (2) l’esprit de parti et l’aprio-

(:) M. Fillion à propos de Baur (p. 91), parle, après d’autres, d'idée fixe. Voir également ce qui est dit, déjà, de Reimarus (p. 17).

(2) M. Harnack, par exemple, qui sème en des ouvrages de critique sérieuse, il réagit fortement dans le sens de la tradition, des affirmations qui n’ont rien à voir

32 LE RATIONALISME

risme (p. 138-139, 142, 145...) enfin l’usage abusif des vaines tirades. Ces « exercices de style » n’en imposent pas à M. Fillion (p. 200, 204, 232, 315, 316...). Il n’y voit que des phrases creuses, dissimulant mal la disparition complète de toute foi sérieuse au Christ historique et divin et parfois une véritable haine contre Lui. (1)

Le plan de M. Fillion est aussi net que le permet le sujet. Il compte (p. 7) six étapes principales. Dans les quatre premières, il groupe autour de quatre noms, devenus fameux, les débuts du rationalisme dans ses attaques contre l'Evangile. Reimarus, Paulus, Strauss, Baur ont attaché leur nom à des systèmes par- ticuliers, ou plus exactement, les trois plus récents ont systé- matisé d’une façon différente et assez caractéristique des idées et des théories émises presque toutes, déjà, par le premier.

Dans la littérature très abondante des cinquante dernières années, on trouverait facilement des écrivains remarquables ou des critiques plus érudits que Reimarus, Paulus ou Strauss, mais aucun nom n'émerge autant et on ne rencontre pas des systèmes aussi définis. Les deux dernières étapes sont donc appelées, par M. Fillion, étape de l’éclectisme et étape du syn- crétisme ou de l’évolutionnisme.

Le noin d’éclectisme est heureux, il pourrait s'appliquer même à l’étape suivante, tant il apparaît avec évidence que, pour les rationalistes de diverses nuances, toute explication, toute hypothèse est bonne qui conduit à la conclusion prévue et voulue d'avance. Le même critique fera appel successivement à des explications naturalistes ou mythiques, évolutionnistes ou syncrétistes, 1] parlera d’idéalisation ou de «couches nouvelles ».

Dans la cinquième étape : l’éclectisme appliqué aux évangiles, après l'étude rapide de quelques précurseurs, Ewald, Renan, la littérature rationaliste est groupée autour de trois points principaux : la critique littéraire des évangiles la personnalité

avec les faits, ni avec la sérénité scientifique. Le même professeur, dans ses cours, ne dédaignait pas, parfois, de méler à un exposé scientifique, de véritables potins de concierge, dirigés contre «la Rome papiste ».

(1) Ce sentiment est plus répandu qu'on ne le pourrait croire parmi les critiques ultra radicaux et radicaux. Un historien du rationalisme, que M. Fillion utilise et cite souvent, et qui est lui-même rationaliste radical, fait cette déclaration : « on peut aussi écrire la vie de Jésus avec la haine (au cœur) et les plus grandioses de toutes, celles de Reimarus... et de Strauss, ont été écrites avec un sentiment de haine. Parce qu'ils haissaient, ils ont vu tres clair dans l’histoire »., (A. Schweitzer Von Reimarus zu Wrede (1906), p. 4), Fillion (p. 130).

ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 33

de Jésus, d’après les théologiens éclectiques l'étude du judaïsme contemporain de Jésus et du christianisme primitif, le dernier sujet offre bien des points de contact avec l’évolu- tionnisme.

Dans cette section, on assiste à un travail vraiment consi- dérable (p. 137) et, sur plus d’un point, fort utile. La critique littéraire du IVe Évangile et dessynoptiques, l'étude du judaïsme contemporain de N.S., abondent en résultats intéressants. On y applique souvent une érudition très grande, une patiente minutie, une persévérance inlassable. Malheureusement, « dans un travail qui devrait être exclusivement littéraire, il se glisse immédiatement des préjugés historiques, ou plutôt philoso- phiques, qui faussent aussitôt les recherches » (p. 157). Et ce labeur gigantesque, « colossal », aboutit à la contradiction et au néant.

Cette dure condamnation, M. Fillion la fait habilement pro- noncer par un juge non suspect, par «un homme qui connaît la critique négative et Ja pratique lui-même largement » (p. 177). Dans un ouvrage récent, M. Jülicher reconnaît qu’un habile ennemi de la critique littéraire pourrait grouper de telle sorte les résultats des travaux des principaux critiques contemporains, qu'il en sortirait un pur néant, tant ces résultats sont contradic- toires. Leur enquête ressemble beaucoup à la destruction uni- verselle. C’est ainsi que le D' Wrede ébranle la crédibilité du second évangile ; M. Welhausen, celle des Zogia ; M. Har- nack celle de nombreux passages de saint Luc, qu'il rattache à des hallucinations. Et M. Jülicher lui-même...

Il convient pourtant d’épingler encore, après M. Fillion, son témoignage : « La distinction, sans cesse entreprise et jamais achevée d’une manière satisfaisante, des sources, des écrits, des rédactions isolées dans chacun de nos évangiles, menace de dégénérer en un jeu enfantin..….. » (1) Et encore : « La critique semble se creuser à elle-même son propre tombeau ».

Le tombeau, une quantité d’ « enfants terribles » semblent à l'heure présente, vouloir le refermer sur la critique. Il se pro- duit, depuis 1910, en Allemagne, un véritable mouvement religieux, que M. Fillion appelle : « la lutte pour l’existence de Jésus » et qu’il expose, en forme d’épilogue.

Une véritable campagne de propagande par la presse, la

(1) Neue Linien in der Kritik der evangelischen Ueberlieferung, 1906, (p. 75). E. F. XXIX. 3

34 LE RATIONALISME

brochure, le livre a été menée contre l'existence historique de Jésus. Le principal promoteur du mouvement, un professeur de philosophie, M. Drews, assisté d’autres « spécialistes d’à côté » de pasteurs..., a donné conférences sur conférences, créé une agitation fanatique par ses attaques passionnées. L’attention de nombreux milliers d'hommes a été ainsi excitée et la question mise à l’ordre du jour dans toute l’Allemagne (p. 322).

Comme on pense bien, les exégètes rationalistes, professeurs d’universités, critiques de profession, modérés et même radicaux, ont violemment protesté. N'était-ce pas gâcher le métier et leur enlever le pain de la bouche. Si Jésus n’a pas existé, la plupart des grands problèmes que se pose la critique historique négative, et qu’elle résoud de cent manières, sont radicalement supprimés. Aussi les théologiens libéraux ont-ils imprimé réponses sur réponses, et multiplié les conférences. Mais ils ont souvent une attitude embarrassée, devant les conclusions que tirent, de leurs propres principes, des intrépides logiciens, nullement gênés par le bon sens. Ils se sont aussi attiré, parfois, des réponses, en forme d'arguments ad hominem, qui portaient trop bien.

Cette lutte ardente, passionnée, autour de l’existence de Jésus, constitue un épilogue suggestif de ces « étapes du rationalisme, dans ses attaques contre les évangiles et la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ ». M. Fillion ne pouvait espérer, pour son livre, une meilleure conclusion, pour son exposé, une finale plus éloquente que ce récit d’une crise aiguë, autant que définitive, se manifeste l’aboutissement logique de ce mouvement anti- évangélique, poursuivi pendant plus d’un siècle de rationa- lisme ; mais préparé par le philosophisme du XVIII: siècle et se rattachant au protestantisme et à la Renaissance. (1)

Est-ce à dire que tout avenir soit fermé au rationalisme, par la logique cruelle et les excès extrêmes de ceux que M. Harnack appelait naguère « les cosaques libres de la science » ? Sans doute nous croyons qu'en atténuant la divine physionomie du Christ, en la dénaturant ou en la supprimant complètement de l’histoire, on enlève à l'Évangile toute signification et tout intérêt au christianisme toute raison d’être et toute force vitale. Mais les rationalistes ne s’effrayent pas, outre mesure, du résultat final de leurs longs efforts. Ils ont supprimé le Christ ; ils l'ont remplacé, à la base de son œuvre, par des hypothèses.

(1) P. 8.

ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 35

Le christianisme s'explique par le syncrétisme et l’évolution- nisme, dont M. Fillion fait la sixième étape du rationalisme. Au surplus, si une personnalité se dégage de l'étude du christia- nisme, à sa période de formation, ce n’est pas le Jésus de l’Evan- gile, c'est Paul.

M. Fillion a étudié et réfuté cette nouvelle démarche du rationalisme, dans une série d'articles récemment parus. (1) Il montre très bien qu'avant de poser l'alternative « Jésus ou Paul », les critiques ont faussé les données du problème en dénaturant la physionomie historique de Paul et surtout l’image évangélique de Notre Seigneur. En prétendant que Notre Seigneur ne s'est cru ni Messie, n1 Fils de Dieu, qu’Il n’a jamais songé # à l’ Église, n'ont-ils pas dès l’abord, déterminé la solution, et n'est-ce pas Wrede qui, dans sa brutale logique, a raison ? (2)

À ceux qui veulent dresser ainsi saint Paul en face de Notre Seigneur, M. Fillion oppose tout d’abord les affirmations de l’Apôtre sur sa situation vis-à-vis du Christ. Esclave, apôtre de Jésus-Christ, il a un message à annoncer : le Christ et son Évangile. De nombreux passages de ses épîtres redisent cette conviction. Peut-être pourrait-on trouver que le premier des deux textes cités (p. 392) n’est pas très nettement probant. Les critiques préféreront répondre que la conduite de Paul et son enseignement démentent ses affirmations. I] ne s'intéresse nulle- ment à Ja vie humaine du Christ. Cette proposition, habilement amenée à l’appui de la thèse fationaliste paraît, à première vue, assez exacte. Saint Paul parle fréquemment du Christ, sa pensée revient naturellement et directement vers Lui, mais le Christ qu'il contemple habituellement c’est le Christ ressuscité et glorifié.

En réalité, la vie humaine de Notre Seigneur tient sinon dans la prédication de l’Apôtre, du moins dans ses épîtres, une place relativement fort restreinte ; mais on en peut donner plusieurs explications très satisfaisantes. D'autre part, les allusions, assez nombreuses, qu’on y rencontre, suffisent à contredire l’affirma- tion que Paul ne s'intéresse pas à la vie humaine du Christ. On a d’ailleurs parfois exagéré la fréquence de ces allusions, M. Fillion le reconnaît, et toutes celles qu'il cite lui-même, ne sont

(1) Revue du Clergé français (15 avril-15 septembre 1912).

(2) Pour ce critique, dans tout le système de saint Paul, «il n’y a que deux points qui soient véritablement chrétiens : le nom de Jésus, et le fait de la mort de Jésus, suivie de sa résurrection (pp. 141 et 380-589).

38 LE RATIONALISME

chaos, pour les cristalliser en une forme compliquée sans doute, mais pleine d’unité » (p. 316). On veut bien, parfois, recon- naître au christianisme, en plus d’une grande puissance d’assi- milation, une certaine originalité.

La nouvelle méthode a eu ses adeptes excentriques. Un savant allemand, M. Jensen, a récemment étudié « les origines de la légende de l’Ancien Testament... et aussi de la légende du Nouveau Testament relative à Jésus », dans un gros volume de plus de mille pages. Il aboutit à cette conclusion que cette double « légende » a sa source visible, palpable, évidente, dans l'épopée de Gilgamesh. La biographie de Jésus-Christ est empruntée tout entière à celle du héros babylonien. |

Tous les critiques évolutionnistes ne font pas des découvertes aussi considérables et sensationnelles ; mais, qu'ils cherchent les origines de l’histoire évangélique et de la religion du Christ dans le boudhisme, le parsisme ou les mystères de Mithra, :ils abusent tous de rapprochements forcés entre des faits, ou trop peu étudiés, ou systématiquement déformés.

Quant à ceux qui découvrent l’origine du christianisme, dans le judaïsme tardif, pénétré lui-même profondément, d'éléments religieux babyloniens, grecs, persans ; ou affirment, comme M. Weiss, que la religion chrétienne a emprunté sa doctrine et son culte au milieu juif et païen, ils oublient un fait décisif autant qu'évident. Ce fait c’est l'exclusivisme, hérité par la nouvelle religion, de la religion juive, son manque absolu de tendances syncrétistes vis-à-vis des religions païennes. À mesure que nous suivons, à travers les Épiîtres, l'extension de |’ Église et, tout à la fois, les développements apportés par l’Apôtre à exposition de Ja doctrine, nous voyons s'affirmer de plus en plus l'attitude de défiance hostile vis-à-vis de la sagesse grecque ou des coutumes païennes. Dès l’abord, le christianisme se révèle une religion d'autorité ; dès l’abord, il propose une doctrine nettement définie, dans ses grandes lignes, et qui loin de « s’amalgamer » des éléments étrangers, s'oppose nettement aux courants reli- gieux avec lesquels elle entre en contact. Il y eut, dans le milieu, et à l'époque, des épîtres christologiques, des tentatives de péné- tration, d'infiltration de la part du syncrétisme païen. Mais ces tentatives, nous les apercevons, nous les devinons, à travers les protestations et les catégoriques fins de non recevoir de saint Paul.

Mais, malgré ses incertitudes et ses faiblesses, par ses géné- ralisations hâtives et ses comparaisons tendancieuses, l’histoire

ET LA CRITIQUE DE L’HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 39

des religions peut faire impression sur les esprits insuffisamment attentifs ou trop peu au courant des problèmes qu’elle soulève. C'est ledevoir des catholiques, selon leurs moyens et leur con- dition, d'étudier et de réfuter cette nouvelle forme de l’erreur.

À ceux qui voudraient se rendre compte, d’une façon suffisam- ment claire et précise, des théories rationalistes des adeptes de « la méthode religieuse historique », relativement au Christ et à son Evangile, je recommanderai la lecture de deux ouvrages récents.

Le premier, 1) d’un style parfois un peu négligé, mais plein d’'entrain, renferme en un petit nombre de pages bien pleines, beaucoup de notions précises et, à mon humble avis, une forte réfutation des théories « syncrétistes » sur le christianisme primitif.

Les cinq conférences de M. A. Valensin, (2) tout en traitant un sujet plus vaste, rentrent mieux dans le cadre de la sixième étape, étudiée par M. Fillion. Je ne puis ici qu’en donner les titres(3) et dire l'intérêt que j'ai trouvé à les lire.

Il a paru utile de parcourir rapidement ici, à la suite de M. Fillion, les étapes du rationalisme, dans ses attaques contre les Évangiles et la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ. Cet exposé historique est de nature à mettre en lumière, le caractère peu scientifique de ce mouvement antireligieux. Mieux, peut-être, que des études de détail, il montre la fragilité profonde, consti- tutionnelle, de ces constructions systématiques et sans originalité vraie, rien n’est nouveau que l'agencement, trop souvent incohérent, de matériaux toujours les mêmes.

Naturaliste, évolutionniste, la théologie protestante moderne, non seulement part de mauvais principes pour aboutir au néant; mais, il faut le dire bien haut, elle n'a pas le droit de se glorifier d’une méthode exacte (p. 349). Son subjectivisme, s’il sauve- garde l’autonomie du savant, fausse l'observation des faits, les présente et les groupe d’une façon tendancieuse.

(1) L'Évangile en face du Syncrétisme paien, par le R. P. Bernard Allo, 1 vol. in-12° de XXI-202 pages. Paris, Bloud et C!°, 1910.

(2) Jésus-Christ et l’ Étude comparée des religions, 1 vol. in-12° de 232 pages. Paris, J. Gabalda et Cie, 1912.

(3) Le problème christologique que pose la science des religions « Christs mythiques » et le Christ de l’histoire L'image du Christ devant le syncrétisme gréco-romain Le messianisme d'Israël Jésus-Christ, la Voie, la Vérité, la Vie. Ces belles conférences ont été données aux Facultés catholiques de Lyon, en février- mars 1911.

40 LE RATIONALISME ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE

De cet immense et vain effort, qui aboutit à la ruine de toute religion sérieuse et à l'effacement plus ou moins complet de la divine figure du Christ, le triste honneur revient à la « science allemande ». C'est elle qui a fourni la grande part de ce vaste labeur, les rationalistes des autres pays n’ont guère fait qu'imiter et vulgariser ses travaux.

M. Fillion cite (p. 343) les paroles, tristement significatives, d’un pasteur de Brême, M. Lipsius. Quelques-unes de ces paroles me paraissent le « mot de la fin » à prononcer sur cette déliquescence : « Dans le sens historique, très strict, de l’expres- sion, nous ne sommes plus du tout chrétiens... Nous reconnais- sons l’abîme immense qui nous sépare, nous autres hommes modernes, du christianisme du N. T., car nous nous tenons debout, munis d’une ossature vigoureuse, sur la terre durable, solidement basée. est le champ de notre travail ; se trou- vent nos devoirs et nos buts divers. Nous n’attendons plus le retour du Seigneur, mais nous nous créons avec nos propres forces une terre nouvelle ».

Cet homme moderne, dont on nous parle avec une infatua- tion grandiloquente, est un « colosse aux pieds d’argile ». Si la « terre durable » qui lui sert de base, par une diminution tou- jours plus accentuée de la moralité, achevait de se transformer en boue, un jour viendrait où, devant l’écroulement lamentable du pauvre géant, la science rationaliste devrait reconnaître son œuvre destructrice et pourrait contempler le terme logique de sa longue entreprise. [1 y a un peu plus de deux ans, (1) M. Har- nack rappelait lui-même, en germanisant la métaphore légère de Renan, qu’on ne peut vivre qu’un certain temps « des vapeurs qui s’échappent encore d’une bouteille vide ».

Il faut être reconnaissant à M. Fillion de son persévérant labeur et des longues lectures, trop souvent pénitentielles, qui ont été nécessaires pour écrire cette « histoire des variations » de la critique rationaliste. Ce tableau d'ensemble met bien en lumière les principaux points faibles de l'attaque antichrétienne, il console et raffermit la foi. Il ne manque vraiment à cette histoire que d’être illustrée et égayée par la plume et le crayon de

Hansi. Fr. HUGUES.

(1) Au congrès des sociologues protestants, à Chemnitz, le 18 mai 1910.

LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION ‘”

Sur cette matière, si aride et si difficile, M. l'abbé Vincent Botto, prêtre de Chiavari, a écrit, en un style nerveux et imagé, une étude savante et fortement documentée. Nous l’avons lue avec profit, la plume à la main ; ce sont ces simples notes que nous livrons à nos lecteurs, pensant leur être utile. Pour ingrates en effet que soient ces questions, elles n’en ont pas moins leur importance pour nous prêtres, appelés souvent à donner à ce sujet un conseil ou une décision. Il n’est donc pas sans intérêt de voir les positions qu'a adoptées, sur ce point, après un travail approfondi, un penseur vigoureux.

L'ouvrage est partagé en quinze chapitres ; mais, j'ai le regret de le dire, cette division n'aide en rien à saisir le plan d'ensemble. Celui-ci existe pourtant, et très nettement arrêté ; mais, nous ne savons pourquoi, 1l est comme caché à dessein, alors qu’au contraire, en un pareil sujet, il eût fallu le rendre le plus apparent possible. Il se compose de trois dissertations, très riches d'idées, d’aperçus et de substantielle doctrine, et bourrées de références et de citations de toute sorte. Notre but a été non pas tant de les résumer que d’en donner les points essentiels.

I. EXPOSÉ DE LA QUESTION (p. 17-50).

1) D'abord un aperçu sur les principales lois de succession. La succession d’un défunt peut venir à quelqu'un par trois

(1) Sac. V. Botto. Del valore delle leggi di successione. Roma. Desclée, de Brouwer et C'a ,editori pontifici. Piazza Grazioli, 1912. In-8° p.p. 230. Prezzo 3 lire.

36 LE RATIONALISME

pas aussi évidentes qu'il le faudrait, pour baser un argument dans la discussion présente.

M. Fillion étudie ensuite la conversion de saint Paul, sa vie en Jésus, son apostolat, son enseignement, et, après avoir com- paré la pensée de Jésus et celle de Paul, sur quelques points plus importants, il conclut son enquête en rétablissant, au lieu de l'alternative rationaliste « Jésus ou Paul », l'affirmation traditionnelle : Jésus et Paul. Suivant son habitude, il termine son travail par toute une série de textes empruntés à des protestants orthodoxes ou libéraux. Plusieurs de ces textes sont suggestifs et offrent parfois un contraste piquant avec les idées des critiques cités. Retenons celui que M. Fillion emprunte à l’ouvrage récent de M. Deissman, protestant libéral, sur saint Paul : (1) « L'histoire du christianisme primitif se résume en deux noms. les noms de Jésus et de Paul. Jésus et Paul : ces deux figures, il est vrai, ne se tiennent pas l’une auprès de l’autre, en temps que premier et second. Au point de vue historique le plus géné- ral, Jésus apparaît comme l’Unique, et Paul comme le premier après l'Unique, ou, pour employer un langage paulinien, le premier dans l’Unique. Jésus se tient dans l’histoire avec une sublimité et une importance sans égales. Ce qu'est Paul, il l’est dans le Christ ».

Il est temps de revenir à la sixième étape de M. Fillion, dont la question « Jésus ou Paul » est d’ailleurs un épisode. Cette étape, qui est l'étape actuelle, de l'effort rationaliste se carac- térise surtout par l'application à l'étude de l’évangile et du chris- tianisme naissant, de « la méthode religieuse historique », par la tendance à faire du christianisme un chapitre de l’histoire des religions.

L'histoire des religions pourrait être une section, et non la moins intéressante, de l’histoire générale. Science, à ses débuts encore, remplie de difficultés et de problèmes, dont beaucoup paraissent bien devoir rester insolubles, elle offre assez d’inté- rêt, par les questions qu’elle soulève, par ce qu'elle nous fait entrevoir des profondeurs de l’âme humaine, pour solliciter la recherche désintéressée. En fait, ce mouvement d'idées, au lieu d’être vraiment scientifique, apparaît comme une attaque violente, et qu’on espère définitive, contre la religion chrétienne et même contre toute religion. C’est ce que démontrent, non

(1) Paulus, 1911, p. 1. Cet ouvrage est dédié à M. Harnack. M. Fillion en a donné une recension élogieuse (Rev. prat. Apol., 1 mars 1912).

ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 37

moins clairement que les déclarations de ses plus ardents pro- tagonistes, le caractère de la plupart des ouvrages de ce genre publiés depuis vingt ans, la hâte apportée à vulgariser, sous formes d’affirmations hardies, dans les milieux populaires, les résultats les plus incertains et à traduire, en littérature primaire, des notions à peine entrevues. Que cette tactique soit habile, autant que perfide, bien fondée en psychologie et assurée, humainement parlant, d’un grand succès, il serait facile de le montrer ; nous ne voulons ici, à la suite de M. Fillion, qu’ex- poser succinctement et critiquer rapidement, dans ses procédés et ses conclusions relatives à l'Evangile du Christ et à l’origine du christianisme, cette nouvelle science.

L'intitulé de cette dernière étape : l’évolutionnisme ou le syncrétisme, étonne un peu, au premier abord.

L’évolutionnisme est un système, une hypothèse, le syncré- tisme, dans l’acception usuelle du mot, au moins actuellement, désigne un fait : le mouvement religieux qui se produit aux environs du début de l’ère chrétienne, dans le monde gréco- romain. Mouvement religieux intense, caractérisé par un étrange mélange des idées et des rites, des dieux et des cultes, mais aussi par une aspiration profonde vers une religion, inté- rieure, « par un effort émouvant de l’humanité, combinant toutes les énergies du monde antique, le mysticisme de l'Orient, l'intelligence claire de la Grèce, la raison pratique des Romains, pour s'ouvrir le ciel et en faire descendre une rédemption ».

Il reste vrai que l’évolutionnisme domine et conditionne toutes les démarches de la méthode religieuse historique, appli- quée par les rationalistes d'aujourd'hui à l’étude de l’évangile et du christianisme primitif. De même, parmi les problèmes de l’histoire des religions, il n’en est pas de plus intéressant que celui que posent les rapports du christianisme avec le syncré- tisme païen, il n’en est pas les conclusions des modernes paraissent, à première vue, aussi séduisantes.

Il est juste de reconnaître également que, sous le nom de « théorie syncrétique », M. Fillion décrit, sinon un système entièrement à part, du moins une forme spéciale de l’évolution- nisme. Le christianisme aurait non seulement profité du vigou- reux mouvement religieux qui emportait les âmes, en l’accapa- rant, il aurait encore opéré la synthèse heureuse des idées reli- gieuses et des rites alors mélangés. Ou mieux, il aurait « su attirer à soi tout ce qu’il y avait d'éléments de valeur dans ce

38 LE RATIONALISME

chaos, pour les cristalliser en une forme compliquée sans doute, mais pleine d'unité » (p. 316). On veut bien, parfois, recon- naître au christianisme, en plus d’une grande puissance d’assi- milation, une certaine originalité.

La nouvelle méthode a eu ses adeptes excentriques. Un savant allemand, M. Jensen, a récemment étudié « les origines de la légende de l'Ancien Testament... et aussi de la légende du Nouveau Testament relative à Jésus », dans un gros volume de plus de mille pages. Il aboutit à cette conclusion que cette double « légende » a sa source visible, palpable, évidente, dans l'épopée de Gilgamesh. La biographie de Jésus-Christ est empruntée tout entière à celle du héros babylonien. |

Tous les critiques évolutionnistes ne font pas des découvertes aussi considérables et sensationnelles ; mais, qu'ils cherchent les origines de l’histoire évangélique et de la religion du Christ dans le boudhisme, le parsisme ou les mystères de Mithra, ils abusent tous de rapprochements forcés entre des faits, ou trop peu étudiés, ou systématiquement déformés.

Quant à ceux qui découvrent l’origine du christianisme, dans le judaïsme tardif, pénétré lui-même profondément, d'éléments religieux babyloniens, grecs, persans ; ou affirment, comme M. Weiss, que la religion chrétienne a emprunté sa doctrine et son culte au milieu juif et païen, ils oublient un fait décisif autant qu'évident. Ce fait c’est l’exclusivisme, hérité par la nouvelle religion, de la religion juive, son manque absolu de tendances syncrétistes vis-à-vis des religions païennes. À mesure que nous suivons, à travers les Épitres, l'extension de l’Église et, tout à la fois, les développements apportés par l’Apôtre à l’exposition de la doctrine, nous voyons s'affirmer de plus en plus l'attitude de défiance hostile vis-à-vis de la sagesse grecque ou des coutumes païennes. Dès l’abord, le christianisme se révèle une religion d'autorité ; dès l’abord, il propose une doctrine nettement définie, dans ses grandes lignes, et qui loin de «s’amalgamer » des éléments étrangers, s'oppose nettement aux courants reli- gieux avec lesquels elle entre en contact. Il y eut, dans le milieu, et à l'époque, des épîtres christologiques, des tentatives de péné- tration, d'infiltration de la part du syncrétisme païen. Mais ces tentatives, nous les apercevons, nous les devinons, à travers les protestations et les catégoriques fins de non recevoir de saint Paul.

Mais, malgré ses incertitudes et ses faiblesses, par ses géné- ralisations hâtives et ses comparaisons tendancieuses, l’histoire

ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE 39

des religions peut faire impression sur les esprits insuffisamment attentifs ou trop peu au courant des problèmes qu’elle soulève. C'est ledevoir des catholiques, selon leurs moyens et leur con- dition, d'étudier et de réfuter cette nouvelle forme de l'erreur.

À ceux qui voudraient se rendre compte, d’une façon suffisam- ment claire et précise, des théories rationalistes des adeptes de « la méthode religieuse historique », relativement au Christ et à son Evangile, je recommanderai la lecture de deux ouvrages récents.

Le premier, 1) d’un style parfois un peu négligé, mais pleiu d’entrain, renferme en un petit nombre de pages bien pleines, beaucoup de notions précises et, à mon humble avis, une forte réfutation des théories « syncrétistes » sur le christianisme primitif.

Les cinq conférences de M. A. Valensin, (2) tout en traitant un sujet plus vaste, rentrent mieux dans le cadre de la sixième étape, étudiée par M. Fillion. Je ne puis ici qu’en donner les titres(3) et dire l'intérêt que j'ai trouvé à les lire.

[Il a paru utile de parcourir rapidement ici, à la suite de M. Fillion, les étapes du rationalisme, dans ses attaques contre les Évangiles et la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ. Cet exposé historique est de nature à mettre en lumière, le caractère peu scientifique de ce mouvement antireligieux. Mieux, peut-être, que des études de détail, il montre la fragilité profonde, consti- tutionnelle, de ces constructions systématiques et sans originalité vraie, rien n'est nouveau que l'agencement, trop souvent incohérent, de matériaux toujours les mêmes.

Naturaliste, évolutionniste, la théologie protestante moderne, non seulement part de mauvais principes pour aboutir au néant; mais, il faut le dire bien haut, elle n’a pas le droit de se glorifier d’une méthode exacte (p. 349). Son subjectivisme, s’il sauve- garde l'autonomie du savant, fausse l'observation des faits, les présente et les groupe d’une façon tendancieuse.

(1) L'Évangile en face du Syncrétisme païen, par le R. P. Bernard Allo, 1 vol. in-12° de XXI-202 pages. Paris, Bloud et C!°, 1910.

(2) Jésus-Christ et l’ Étude comparée des religions, 1 vol. in-12° de 232 pages. Paris, J. Gabalda et C!°, 1912.

(3) Le problème christologique que pose la science des religions « Christs mythiques » et le Christ de l'histoire L'image du Christ devant le syncrétisme gréco-romain Le messianisme d'Israël Jésus-Christ, la Voie, la Vérité, la Vie. Ces belles conférences ont été données aux Facultés catholiques de Lyon, en février- mars 1911.

40 LE RATIONALISME ET LA CRITIQUE DE L'HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE

De cet immense et vain effort, qui aboutit à la ruine de toute religion sérieuse et à l’effacement plus ou moins complet de la divine figure du Christ, le triste honneur revient à la « science allemande ». C’est elle qui a fourni la grande part de ce vaste labeur, les rationalistes des autres pays n’ont guère fait qu'imiter et vulgariser ses travaux.

M. Fillion cite (p. 343) les paroles, tristement significatives, d'un pasteur de Brême, M. Lipsius. Quelques-unes de ces paroles me paraissent le « mot de la fin » à prononcer sur cette déliquescence : « Dans le sens historique, très strict, de l’expres- sion, nous ne sommes plus du tout chrétiens... Nous reconnais- _ sons l’abîme immense qui nous sépare, nous autres homimes modernes, du christianisme du N. T., car nous nous tenons debout, munis d’une ossature vigoureuse, sur la terre durable, solidement basée. est le champ de notre travail ; se trou- vent nos devoirs et nos buts divers. Nous n’attendons plus le retour du Seigneur, mais nous nous créons avec nos propres forces une terre nouvelle ».

Cet homme moderne, dont on nous parle avec une infatua- tion grandiloquente, est un « colosse aux pieds d’argile ». Si la « terre durable » qui lui sert de base, par une diminution tou- jours plus accentuée de la moralité, achevait de se transformer en boue, un jour viendrait où, devant l’écroulement lamentable du pauvre géant, la science rationaliste devrait reconnaître son œuvre destructrice et pourrait contempler le terme logique de sa longue entreprise. Il y a un peu plus de deux ans, (1) M. Har- nack rappelait lui-même, en germanisant la métaphore légère de Renan, qu'on ne peut vivre qu’un certain temps « des vapeurs qui s’échappent encore d’une bouteille vide ».

Il faut être reconnaissant à M. Fillion de son persévérant labeur et des longues lectures, trop souvent pénitentielles, qui ont été nécessaires pour écrire cette « histoire des variations » de la critique rationaliste. Ce tableau d'ensemble met bien en lumière les principaux points faibles de l’attaque antichrétienne, il console et raffermit la foi. Il ne manque vraiment à cette histoire que d’être illustrée et égayée par la plume et le crayon de

Hansi. Fr. HUGUES.

(1) Au congrès des sociologues protestants, à Chemnitz, le 18 mai 1910.

LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION ‘?

Sur cette matière, si aride et si difficile, M. l’abbé Vincent Botto, prêtre de Chiavari, a écrit, en un style nerveux et imagé, une étude savante et fortement documentée. Nous l'avons lue avec profit, la plume à la main ; ce sont ces simples notes que nous livrons à nos lecteurs, pensant leur être utile. Pour ingrates en effet que soient ces questions, elles n’en ont pas moins leur importance pour nous prêtres, appelés souvent à donner à ce sujet un conseil ou une décision. II n’est donc pas sans intérêt de voir les positions qu’a adoptées, sur ce point, après un travail approfondi, un penseur vigoureux.

L'ouvrage est partagé en quinze chapitres ; mais, j'ai le regret de le dire, cette division n’aide en rien à saisir le plan d'ensemble. Celui-ci existe pourtant, et très nettement arrêté ; mais, nous ne savons pourquoi, il est comme caché à dessein, alors qu’au contraire, en un pareil sujet, il eût fallu le rendre le plus apparent possible. I] se compose de trois dissertations, très riches d'idées, d’aperçus et de substantielle doctrine, et bourrées de références et de citations de toute sorte. Notre but a été non pas tant de les résumer que d’en donner les points essentiels.

Ï. EXPOSÉ DE LA QUESTION (p. 17-50).

1) D'abord un aperçu sur les principales lois de succession. La succession d’un défunt peut venir à quelqu'un par trois

(1) Sac. V. Botto. Del valore delle leggi di successione. Roma. Desclée, de Brouwer et C'a ,editori pontifici. Piazza Grazioli, 1912. In-8° p.p. 230. Prezzo 3 lire.

42 LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION

voies différentes : par la voie de la volonté, quand le « succes- seur » est choisi librement par le « de cujus », par la voie du sang,quand, parex., le fils est appelé à recueillir les biens de son père, par la voie de l'occupation, quand les biens vacants deviennent la propriété de celui qui les a occupés le premier.

À Rome, avec la « patria potestas », prévalut le régime de la volonté ; au contraire, chez les anciens peuples germains, ce fut la parenté qui triompha. Mais, par la suite, ces deux méthodes se firent des concessions et des emprunts mutuels ; de naquit, grâce surtout aux efforts intelligents de Justinien, un système mixte, dont se sont inspirés, bien qu'avec des variantes, la plus grande partie des codes modernes.

2) Or, que pensent de ces lois nos Docteurs catholiques ? Hélas ! ils n’ont pas réussi à s'entendre !

Pour ce qui regarde les « causes profanes », on trouve trois opinions : l’une prétend que les formalités légales sont injustes, immorales ; l’autre affirme au contraire qu’elles sont légitimes ; la troisième, « l'opinion moyenne », déclare que « testamenta informia valida sunt, sed rescindibilia ».

S'il s’agit des « causes pies », même désaccord. D’après le franciscain E. Ferraris, cette matière est soustraite au pouvoir civil, et ne relève que du Droit-Canon ; le dominicain Billuart refuse de se prononcer. Mais la plupart des théologiens français, du XVIIIe siècle, abandonnent le Droit-Canon et s’inclinent devant les lois royales. Dans la suite, on remarque une grande hésitation. De nos jours, volontiers on évite de toucher à la question de fond, et l’on s’en tient à une solution provisoire. Le Card. d’Annibale, par exemple, donne cette norme : « Quamdiu igitur sancta sedes loquuta non fuerit, existimo non oportere inquietari eos qui extra Ditionem Pontificiam non prœstant relicta ad causas pias in testamento irrito ex jure civili ».

Au sujet de la « réserve légale », on retrouverait un semblable conflit d'opinions.

ÏJI. DE LA VALEUR JURIDIQUE DES LOIS DE SUCGCCESSION (p. 51-186).

Que faut-il en penser ? I] faut répondre hardiment qu'elles n’en ont aucune, si elles prétendent régcir le droit lui-même et gouverner l'acte qui lui donne naissance, et que l’auteur, à la suite du juriste belge Picard, appelle « le fait jurigène ».

LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION 43

1) C’est de la nature, et non de la loi, que vient à l’homme le droit en général, et spécialement le droit de propriété et le droit de succession. La loi, il est vrai, de concert d’ailleurs avec la société, détermine les formes extérieures, dites « formes juri- gènes » (v. gr. la langue et les coutumes du pays), auxquelles devra s’accommoder le fait en question, et sous lesquelles il se manifestera. Mais c’est un concours tout-à-fait indirect, qui consiste simplement, peut-on dire, à fournir à l’ouvrier, qui est la volonté, l'instrument qui lui est nécessaire pour faire son œuvre.

De même il faut repousser énergiquement le concept inadmis- sible du « haut domaine », qu’exercerait l’État sur les biens de ses sujets. Cette opinion, inconnue autrefois, a pris naissance au moyen âge, alors que l’on confondait, au temps de la féodalité, souveraineté civile et propriété ; et elle s’est accréditée de nos jours à tel point qu’elle est admise couramment par les auteurs comme la plus commune. On estime qu’elle est la seule qui puisse rendre compte de certaines interventions de l'Etat, celui-ci n'hésite pas à modifier, à transformer, à supprimer même la propriété privée, qui n’est que le «dominium humile!» Mais cette prétention est intolérable et sans aucun fondement. Le « domaine éminent », au lieu d’être, comme on le voudrait, un droit réel de propriété n’est pas autre chose qu’une juridiction supérieure, dont est revêtu l'Etat au profit du droit naturel. Il doit donc s’en servir non pour briser ce droit ou le modifier, mais bien plutôt pour le protéger et le faire prévaloir contre les obstacles qui viendraient en entraver ou en retarder l'exercice.

En somme la souveraineté que s’arroge le pouvoir civil, ne repose sur rien de solide, aucune des théories sur lesquelles on l’appuie ne résiste à un examen sérieux: ni celle du droit propre, ni celle du droit populaire, ni même celle du droit divin. Il faut donc abandonner la thèse chère aux régaliens de l’omni- potence de l'État.

2) Reste à dire maintenant quelle est la fonction vraie, réelle de ce pouvoir civil, dont on vient de réduire à néant les injustes prétentions ? Oh ! elle est toute modeste ! Elle consiste simple- ment à « définir » le droit, à le dégager avec clarté des prin- cipes qui lui donnent naissance, à en trouver la formule exacte, et à le faire connaître au peuple par une promulgation officielle.

C’est à cela que se borne le rôle de l’Etat pour ce qui regarde le droit de succession lui-même. Toutefois, il en va autrement

44 LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION

s’il s'agit du « signe public » qui accompagne ce droit. l'Etat est seigneur et maître ; il est vraiment législateur ; et, s’il n’abuse pas de son autorité, ses lois ont cette fois une vraie valeur juridique.

Le signe public, dont il estici question, comprend bien des espèces ; impossible de les énumérer toutes. À titre d'exemple, signalons simplement : les solennités dans les contrats, les for- malités dans la prescription, le fait de la simple possession pour les meubles.

La raison d’être de ce signe légal, et sa fonction, c’est de s'ajouter au signe primitif, par lequel le droit s’est d’abord exprimé, de fortifier ce signe naturel, de l’imposer au respect de tous, et, par là, de faire triompher le droit qu'il représente et authentique.

C'est à l’Etat, et à l'Etat seul, qu'il appartient de créer ces signes. Cette fonction ne lui donne d’ailleurs aucun pouvoir direct sur le droit naturel ; elle lui permet simplement, d’une certaine façon, d’en modérer le légitime exercice.

III. DE LA VALEUR MORALE DES LOIS DE SUCCESSION (p. 187-224).

Par l'exposé qui précède, on aura compris combien minime est le pouvoir de l'Etat sur les droits de succession. Il ne peut rien sur le droit lui-même, non plus que sur le fait qui le produit; quant aux formes jurigènes, son influence est si réduite qu'elle ne peut entrer en ligne de compte. En réalité son rôle se ramène à deux fonctions ; donner, du droit naturel de succession, la définition qui convient, et qui sera la norme à suivre, et fixer les signes publics ou légaux, sous lesquels ce droit doit se pré- senter pour être reconnu et sortir son effet. Ses actes ne peuvent donc avoir de valeur juridique que dans la mesure ils seront conformes à ces principes.

Reste à en voir la valeur morale.

Outre un chapitre préliminaire sur la conscience, cette disser- tation se divise tout naturellement en deux parties, l’on examine successivement les deux fonctions de l'Etat sur les droits de successions.

1°) LA CONSCIENCE ET LES DÉFINITIONS. Il est bon de rappeler d’abord que les définitions du droit, que donne l'Etat, ne créent pas le droit ; elles ne font que l’exposer. Leur force

LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION 45

obligatoire donc ne leur vient pas d’elles-mêmes, mais bien du droit qu’elles ont mission de définir.

Or leurs relations avec le droit lui-même peuvent donner lieu à trois cas différents : ou bien les définitions sont en harmonie avec le droit ; ou bien elles sont en désaccord ; ou bien la chose est douteuse.

Dans le premier cas, aucun doute, la conscience commande d’obéir à la loi ; et celle-ci, on ne saurait trop le faire remar- quer, tire sa force morale du seul droit naturel, et point du tout de l'Etat qui l’a rédigée et promulguée ; car le rôle de celui-ci, en ce faisant, a été seulement de proclamer le droit naturel ; il lui appartient maintenant de le faire respecter et appliquer.

S'il arrive (et c’est le second cas), que la définition ne soit pas en harmonie avec le droit, soit parce qu’elle affirme une chose intrinsèquement mauvaise, soit parce que, dans telle circonstance spéciale, son application serait nuisible ou impossible, alors la conscience doit lui refuser obéissance, avec les nuances toutefois que comportent les situations diverses. L'auteur en examine trois successivement : celle du législateur, celle du juge, celle du simple particulier ; pour abréger, nous parlerons seulement de ce dernier.

Le simple sujet donc, toutesles fois que la loi ne correspond pas au droit, est obligé en conscience de suivre celui-ci contre n’im- porte quel article du code ou sentence du juge, car le droit naturel l'emporte sur le droit légal. Si je suis appelé, par exemple, à une succession par la loi seulement, alors que mon rival y est appelé par le droit naturel, il n’y a pas à hésiter; je dois m'abstenir complètement et le laisser jouir de son droit ; il ne m'est permis de recourir n1 aux tribunaux ni à fortiori à la com- pensation occulte. Ces moyens par contre me deviendraient tout- à-fait licites si les rôles étaient renversés. Henri Dorio meurt sans enfants ; il ne laisse après lui que sa femme tendrement aimée et un cousin éloigné. Or, d’après nos lois modernes, l’hé- ritage doit aller à ce cousin, et l'épouse ne peut rien y prétendre. Mais la nature ne dit-elle pas clairement ici que la veuve a un droit mieux établi que le cousin ? Si donc celui-ci se rend compte de la situation, il devra en conscience laisser à la veuve la plus grande partie des biens de son mari. Plusieurs autres exemples sont donnés, qui confirment cette doctrine, laquelle est suffisamment certaine pour être suivie fut4 conscientid, à l'exception bien entendu des cas possibles,où interviendrait quel-

46 LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION

que principe supérieur dont il y aurait lieu detenir compte, et qui serait de nature à modifier la solution.

Que faire, en troisième lieu, dans les cas très fréquents l’on doute que la définition exprime bien le droit ? Alors la cons- cience est hésitante et perplexe, et cherche un principe directeur.

De nos jours on a cru le trouver dans l’accommodement fameux, dérivé de « l'opinion moyenne », et qui consiste à invo- quer le fait de la possession ; beatus qui possidet ! Mais l’auteur réfute longuement ce système, qu’il taxe d’inutile et de contra- dictoire.

Sa position, à lui, est tout autre. Pour les théologiens, parti- sans de la « possession », le doute en la circonstance porte sur la question de fond, c’est-à-dire sur l’origine même des droits de succession : viennent-ils de la nature ou de l'Etat ? ils ne sont pas fixés. Pour lui, aucune hésitation possible : ces droits vien- nent certainement de la nature, et non de l'Etat. Aussi son doute à lui ne porte pas sur les principes, mais sur leur application, qui,en plus d’un cas, rencontre des difficultés. On comprend dès lors aussi qu’il cherche la solution du problème sur un terrain autre que les droits eux-mêmes. Pour lui les compétiteurs ont deux moyens de sortir d’embarras : ou bien s'arranger à l’amia- ble, ou bien recourir à un arbitrage.

2°) LA CONSCIENCE ET LE SIGNE PUBLIC. La conscience doit se regarder comme engagée par le signe public ou légal. Puisque l'Etat, nous l’avons vu, a le droit d’en établir, il s’en suit nécessairement, que ses sujets ont le devoir moral d’en tenir compte Titius mourant, qui, en témoignage d'affection, veut laisser à son ami la maison qu’il habite, se refuse à passer de ce don un acte public, revêtu du signe légal, il fait une chose objec- tivement mauvaise ; car il enlève à son ami le seul moyen reçu de faire la preuve de sa légitime prise de possession, il l’expose à une série pénible de contestations avec les héritiers, ou le fisc, ou les voisins. Il convient de remarquer d’ailleurs que l’obliga- tion de conscience n’est pas attachée au signe légal au même titre que dans la « définition ». L'obéissance est due à celle-ci en vertu du droit naturel qu’elle contient ; ici au contraire, il s’agit d’un droit purement artificiel créé par l'Etat ; c’est donc l'Etat lui-même qui est la source de l'obligation.

À ce devoir moral personne ne peut se soustraire. Toutes les fois donc que la loi impose aux droits de succession un signe : légal, aucun d’eux, à moins que l’Etat n’accorde une dispense, ne

LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION 47

pourra en être rendu libre, s'agit-il d'un grand personnage, ou d’une association puissante, ou même d’une cause pie.

Tout comme le droit artificiel dont il dérive, ce devoir de conscience dépend entièrement de la volonté de l'Etat, de telle sorte que ce qui est aujourd’hui nécessaire, pourrait être demain inutile, et après-demain répréhensible.

Pour que ce devoir s'impose à la conscience, deux conditions sont requises. [Il faut d’abord qu’il soit ratsonnable ; et il le sera encore même dans les cas particuliers le motif d'ordre général qui a fait porter le signe se trouve sans application : lex fundata in prœsumptione periculi communis. Ï1 faut ensuite qu’il soit vrai; et il cesse de l’être, si le fait spécial qui est visé n’existe pas: lex fundata in prœsumptione facti.

Cette doctrine ne présente aucune difficulté tant que le signe public ou légal recouvre bien en réalité le droit de succession. Mais comment se comporter si le signe vient à faire défaut ? Un bienfaiteur, par exemple, a déclaré avant de mourir, que ses biens reviendraient à l’hospice de sa ville natale ; mais son testa- ment olographe, cette clause était insérée, est nul par suite d'un vice de forme. Que faire en ce cas et dans tous les cas sem- blables ? L’auteur n'hésite pas. Pour lui, ce sont de ces défaillances inévitables auxquelles 1l est impossible de parer complètement dans les institutions humaines. Mais ce ne doit pas être une raison de faire fléchir les principes : donc manque le signe légal, il faudra en conscience s'abstenir d’exer- cer son droit.

Toutefois cette logique n'est pas tellement rigoureuse qu'elle ne permette quelque accommodement, grâce auquel, tout en respectant la loi, il sera possible de jouir d’un droit vrai et légitime ; cela se fait au moyen d’une substitution de signe. Pour les lois de propriété et de succession, les lois civiles reconnais- sent plusieurs signes : vente, donation, testament, prescription, possession, etc. Si donc un de ces signes vient à manquer dans un cas donné, il n’y aura qu’à le remplacer par un autre.

Mais, dira-t-on, c’est un mensonge, un acte d’hypocrisie ? I] est facile de se rendre compte que cette accusation manque de fondement. Le signe public, en effet, n’est pas, comme la « forme jurigène », uni intimement au droit qu’il recouvre ; il s’y surajoute plutôt comme un vêtement supplémentaire, et peut être changé à volonté, ou multiplié, sans que le droit lui-même en souffre la moindre atteinte. Car le signe légal désigne deux

48 LA VALEUR DES LOIS DE SUCCESSION

choses : le droit et sa cause. Quand donc j’emploie un signe, il dépend de moi de le prendre dans sa double signification,ou bien de lui donner seulement le sens de la principale, celle du droit. Par exemple, il manque à Titius, pour prendre légitimement possession d’un bien qui lui a été effectivement donné, le signe même de la donation, il n’a qu’à faire appel au signe de la vente. En l’employant, son intention sera, non pas de signifier une vente qui n’est que fictive, mais bien de témoigner de son droit de propriété, qui est réel.

Un seul cas serait embarrassant ; c’est celui la question viendrait à être posée, d’une façon précise : en quel sens, en la circonstance présente, entendez-vous prendre le signe public que vous employez pour affirmer votre droit? Certaine opinion estime que ce cas serait assimilable au cas de légitime défense, et qu’il serait permis alors de tromper son adversaire, d’une façon directe et positive, en lui répondant par une fausseté. Mais l’au- teur rejette ce moyen commeillicite. Pour lui, en un cas sem- blable, il n’y a que deux alternatives possibles : ou bien se renfermer dans un silence prudent— ou bien dire toute la vérité.

CONCLUSION (p. 225-226).

En résumé, l'interprétation de nos lois de succession se ramène à une distinction fondamentale entre leur « définition », et leur « signe public ». |

La « définition » n’engage la conscience que dans la mesure elle réflète et exprime le droit naturel ; en dehors de là, elle n'a aucune valeur, ni juridique ni morale.

Le «signe public » au contraire, s’il est légitime, raisonnable et vrai, s'impose toujours à la conscience ; car, en cette matière, l'Etat est maître souverain ; et le droit qu'il crée, bien qu'’arti- ficiel, est pour nous la matière d’un devoir certain. Toutefois, l’obéissance qu’il nous impose n’est pas tellement étroite qu’elle ne puisse s’accommoder, quand il en est besoin et pourvu qu’on n'ait pas recours au mensonge, d’une substitution de signe ; ce qui permet de faire valoir tous les droits réels.

Telles sont les positions essentielles de M. V. Botto, dans son beau travail. Même pour qui ne les admettra pas sans conteste,

1l était intéressant de les connaître. Fr. CONSTANT.

O0. M.c.

TROIS MOSAISTES FRANCISCAINS AU XIII SIÈCLE :

JACQUES, FRATER SANCTI FRANCISCI, FR. JACQUES TORRITI ET FR. JACQUES DE CAMERINO.

« Frère Jacques, de l’ordre de saint François, ayant fait les mosaïques qui se voient dans l’abside du Baptistère de Flo- rence, en fut, quoiqu'elles soient assez médiocres, rémunéré avec une largesse extraordinaire, puis il fut engagé à Rome comme un maître éminent ; il y fit des travaux dans l’abside de Saint-Jean-de-Latran et dans celle de Sainte-Marie-Majeure. Il se rendit ensuite à Pise et y représenta, dans l’abside principale du dôme, avec l’aide d’Andrea Tafi et de Gaddo Gaddi, les Évangélistes et les autres sujets qu’on y voit, auxquels la dernière main fut mise par Vicino ; car fr. Jacques les avait laissés ina- chevés. »

C’est en ces termes que Georges Vasari, (1) peintre, architecte et écrivain, à Ârezzo le 30 juillet 1511, mort à Florence le 27 juin 1574, l'impérissable auteur des Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes, résume dans la première édi- tion de son œuvre la carrière artistique de fr. Jacques de l’ordre de saint François. Dans la seconde édition, parue en 1550, il remplace ces mots : « Frère Jacques de l’ordre de saint Fran- çois » par ceux-ci : « Frère Jacques Torriti, de l’ordre de Saint- François. »

Ces lignes si courtes, ces quelques phrases, ont donné nais- sance à toute une littérature. « Îl n’y a peut-être pas, écrit Milanesi, (2) dans l'histoire de l'art italien, un point qui soit

(1) Opere. Edition Milanesi, Florence, 1878. I, 355-356. {2) Le Opere di Giorgio Vasari Florence 1878. I. 341.

E. F, XXIX. 4

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plus obscur et, par conséquent, plus controversé que celui qui concerne la personne et les œuvres de fr. Jacques le mosaïiste. » Trente-cinq ans se sont écoulés depuis que le savant critique faisait cet aveu ; et, en dressant le bilan de ce qu’ils nous ont apporté de lumière nouvelle, il semble que le point soit devenu moins obscur, s’il n’est pas moins controversé. |

La question a pris, de plus, un intérêt nouveau ; car les figures du franciscain quel qu'il soit, dont Vasari, égaré par les préjugés de son temps, disait si légèrement qu’elles sont assez médiocres, sont considérées aujourd’hui comme les lointains ancêtres des cariatides dont Michel-Ange a orné le plafond de la Sixtine ; et la première, vraisemblablement, des œuvres d’art sorties de la main d’un Mineur va rejoindre à travers les siècles les créations. colossales du plus beau temps de la Renaissance.

Qu’y at-il à prendre, qu'y a-t-il à laisser dans le récit de Vasari ?

*% * *

Supposons, un instant, acquises les notions qu'il renferme, laissons de côté ce premier travail que fr. Jacques Torriti aurait exécuté au Baptistère de Florence, et jetons un coup d’æil sur l’abside de Saint-Jean-de-Latran.

On a, dans la mosaïque qui l’orne, distingué plusieurs par- ties, plusieurs couches si j'ose parler ainsi. En haut, dans un ciel d’azur voguent, comme des galères d'argent, de légers. nuages blancs, un buste du Sauveur du monde ouvre des yeux dont le regard puissant et doux, pour me servir de l'expression d’un historien, remplit la basilique. Des anges, aux ailes de. couleurs vives, l'entourent. C’est la couche supérieure, l’atmos- phère les personnages plongent. Au dessous, une colline ; sur la colline une croix constellée de pierreries ; au-dessus de la croix, la colombe du Saint-Esprit qui l’illumine de ses rayons. Du pied de la croix le Fison, l'Euphrate, le Tigre et le Gion, les quatre fleuves du Paradis, jaillissent ; des cerfs et des agneaux étanchent leur soif à leurs eaux, entre lesquelles la Cité de Dieu élève ses murs ; les princes des apôtres veillent sur ses. tours et un ange armé en garde les portes. Et tout autour s’étend la campagne avec ses fleurs multicolores et la légion d’oiseaux, paon, coq, colombes, merles et chardonnerets qui s’y pavanent, y chantent, y roucoulent, y sifflent ou y pépient. Un cinquième fleuve, le Jourdain, symbole du baptême, Jordanis, baptismi

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figuram habens, borde cette prairie paradisiaque, et sur ses flots des enfants, de délicieux putti, prennent leurs ébats ; l’un pêche à la ligne, l’autre au filet, l’un fait, à la force de ses petits bras ronds, avancer un canot, l’autre tend la voile. C'est la couche inférieure, le plan sur lequel reposent les personnages. Ceux-ci se dressent des deux côtés de la croix: à droite la T.S. Vierge et les apôtres Pierre et Paul, à gauche saint Jean-Baptiste, patron de la Basilique, saint Jean l'Évangéliste et saint André apôtre. Entre ces grands personnages, tout petits, tout menus dans leur humilité, le Poyerello élève vers la croix sa main stigmatisée et saint Antoine de Padoue regarde d’un long regard mystique.

Et notons-le de suite en passant : c’est la première fois que les deux fondateurs de l'ordre des Mineurs, le Poverello et le Saint de Padoue, figurent sur le même rang que la Vierge, les apô- tres Pierre et Paul, le Baptiste et le disciple bien-aimé du Sau- veur ; c'est la première fois qu'ils se voient représentés ailleurs que dans des œuvres de minime importance, qu'ils apparaissent dans la gloire d’une grande composition publique, dans la plus ancienne des basiliques de Rome ; et cela constitue pour me servir d’une expression de Venturi (1) « une nouvelle canonisa- tion » qui vient couronner leurs mérites, une canonisation artistique.

S'ils furent exaltés ainsi dans l’abside de Saint Jean-de-Latran, c'est, il est temps de le noter, par l’œuvre pieuse d’un de leurs propres enfants.

Du Souverain Pontife Nicolas IV. Le lecteur ne l’ignore pas, avant de monter sur le trône pontifical, Nicolas IV (2) avait été général de l’ordre des Frères Mineurs. Il était le premier de l'Ordre qui montât sur le trône de Pierre. Ceint de la tiare, il n'oublia pas ses frères en religion, il leur resta attaché de toutes les fibres de son âme et leur témoigna toujours une bienveillance spéciale. Nous verrons au cours même de cet article ce qu'il fit pour la basilique d'Assise. À Rome il ordonna de placer l’image du Poverello à la place d'honneur que nous venons d'indiquer et ailleurs encore nous le retrouverons. Gerspach remarque qu'il avait un goût fort vif pour la mosaïqne et qu'il rappelait par Pascal 1°° et l’impératrice Galla Placidia. Il aimait cet art, parce que «la véritable peinture pour l'éternité est la mosaïque, »

(ii) Venturi. Storia dell'arte Italiana, V, 176. (2) Nicolas IV (Jérôme Masci) à Ascoli (Italie), élu à Rome le 15 février 12 88, y mourut le 4 avril 1292 après un règne de 4 ans, 1 mois et 20 jours.

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comme a dit Ghirlandajo, et que par elle est l’art religieux par excellence.

Il confia donc à la longue vie de la mosaïque la glorification du Patriarche des Mineurs, et dans l'inscription qu'il y ajouta il lui rendit un hommage que nul pontife ne lui avait encore rendu, il se proclama son fils, filius sancti Francisci.

La mosaïque est signée Jacobus Torrit(i) pict(or) ho(c)

opus) fecit.

* * *

Cette œuvre, fr. Jacques Torriti l’a-t-1l créée toute entière, telle que nous venons de la décrire ? Il est incontestable que non. Lorsqu’en 1290 le pape Nicolas IV fit commencer les tra- vaux de réfection dans l’abside de Saint-Jean-d:-Latran, une mosaïque la décorait déjà, et 1l ordonna expressément d’en réserver une partie: la tête du Christ, dont l’histoire est fameuse. Les comparaisons faites avec les mosaïques de Sainte-Cons- tance et avec d’autres monuments prouvent qu’elle remonte jusqu’à l’époque de Constantin (1). Au XI°et XIIe siècle elle passait pour la première de celles qui avaient été offertes, à Rome, à la vénération publique. Et voici qu’au XIIIe siècles une légende nouvelle s’attachait à son origine ; on commençait à se raconter qu’au IV: siècle, au moment même de la consécration de la basilique par saint Sylvestre, elle était apparue miraculeu- sement au sommet de l’abside. Aussi Nicolas IV ordonna-t-il de la conserver et il le constate dans l'inscription rapportée par For- cella : quo fuerat steteratque situ relocatur eodem. Voici donc déjà une partie de l'œuvre, et non une des moins importantes, qui n'est pas de fr. Jacques Torriti.

N'est pas non plus de lui la prairie sur laquelle les saints se tiennent debout, avec le fleuve qui la limite. Les enfants qui s’y promènent, les cygnes, les poissons, les fleurs, les oiseaux ont une pureté de style classique que le XI[T1° siècle ignore. Eux en- core ils sont des restes de l’ancienne mosaïque qui ont trouvé grâce devant le goût délicat de fr. Jacques Torriti.

Ne sont donc de sa main (2) que les grandes et superbes figu-

(1) Sur cette question, voir Grisar, Geschichte Roms und der Päpste im M ittelal- ter, 1, p. 784.

(2) Daus leur exécution matérielle du moins, car il semble bien que la Vierge et les Apôtres rappellent, par leurs lignes, un dessin ancien.

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res de la Vierge et des apôtres et les touchantes figurines de saint François d'Assise et de saint Antoine de Padoue, ainsi que celle du pape Nicolas IV qui s’est fait représenter l’ai-je dit ? à genoux aux pieds de la Vierge, à gauche de la croix. A cet ap- port il faut ajouter la belle troupe d’anges qui entourent de leur vol le buste du Sauveur et la croix superbement ornée qui occu- pe le centre de la composition. Si l’on joint à ces créations la restauration et la remise en place des parties anciennes et si l’on tient compte du tact sûr avec lequel elles ont été harmonisées en un tout que l’on a qualifié de grandiose, la valeur artistique de fr. Jacques Torriti nous apparaît déjà comme étant de tout premier ordre.

Cependant vu la complexité de l’œuvre, étant donné aussi qu’en 1878 la mosaïque fut enlevée, puis remise en place, lors des travaux que Léon XIII fit exécuter à Saint-Jean-de-Latran et qu'elle ne fut peut-être pas, malgré les ordres donnés, scru- puleusement respectée ; à cause de tout cela, dis-je, 1l serait téméraire de juger du talent de fr. Jacques Torriti par une sim- ple visite à Saint-Jean-de-Latran. Pour le connaître en son entier, il faut le voir à Sainte-Marie-Majeure.

* * *

La mosaïque, exécutée elle aussi sur l’ordre de Nicolas IV, est signée Jacob(us) Torrih pictor h(oc) op(us) mosaic (um) Jec(it). Elle ne fut achevée qu'après la mort du pontife, arrivée en 1292, car elle est datée, à la droite du spectateur, MCCXCV : 1205.

Au haut de la conque absidale s'étale l'éventail gemmé avec la couronne et la croix pendante ; au-dessous, un enroulement de plantes vertes qui se courbent et s’enroulent, de rameaux qui se tordent en spirale, de volutes qui caressent l’œil de la grâce forte et souple de leurs lignes. Des guirlandes jaillissent de grands vases somptueux aux anses tenues par des enfants, avec des fruits en bouquets, des cerises,des pommes, des raisins, des épis de blé, des figues, des grenades, des poires, des oiseaux ; çà et des anges éploient leurs ailes d’or dans des médaillons, des végéta- tions d’acanthe développent leurs feuilles vertes et rouges, avec leur population de paons, de perdrix, de canards, de merles, de perroquets, d’aigles et de graves hérons. Au milieu de cette forêt paradisiaque, que le savant Venturi a étudiée avec un bonheur

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tout spécial, (1) brille la percée lumineuse d’un cercle de ciel étoilé au milieu duquel flamboient, entourés de chœurs d’anges, le divin Rédempteur, accompagné de sa Mère immaculée. Le soleil et la lune leur servent d’escabeau. La Vierge est voilée,elle baisse la tête et dans un geste d’étonnement, entr'ouvre ses fines mains byzantines : car d’un mouvement grave son Fils pose sur sa tête la couronne de Reine du Paradis. A droite et à gauche du groupe saint Pierre et saint Paul, saint Jean-Baptiste et saint Jacques, saint François d’Assise et saint Antoine de Padoue as- sistent à la scène triomphale.

C'est là, remarquons-le bien, la première représentation con- nue du couronnement de la Sainte Vierge. Il ne semble pas que jamais personne, avant fr. Jacques Torriti, ait eu l’idée d'une semblable composition ; jamais personne n'avait songé à fixer sur les murs, dans la magie de l'or et des couleurs vives, la « majesté de la Vierge, assise, couronnée, à la droite du Rédempteur, sur fond d'étoiles, au milieu de la forêt céleste du paradis aux mille fleurs » (2) ; jamais personne n'avait songé à la faire rayonner pour l'éternité dans le chatoiement de la mosaique.

C’est la première fois aussi que saint François d’Assise et saint Antoine de Padoue sont représentés de même taille que les prin- ces des apôtres. A Saint-Jean-de-Latran, à cause, peut-être, des conditions qui lui étaient faites, de l'obligation de suivre le des- sin primitif de la mosaïque constantinienne qui lui était imposée, fr. Jacques Torriti les avait bien représentés à côté des apôtres, mais il les avait représentés plus petits qu'eux de moitié; « il les avait laissés, a-t-on dit, dans le degré inférieur de la hiérarchie de la sainteté. » Ici, il n’er va plus de même ; les petits pauvres marchent du même pas et de la même taille que les pêcheurs de la Galilée.

J’ajouterai qu'ici encore, comme à Saint-Jean-de-Latran, Ni- colas IV s’est fait représenter à genoux et qu'ici encore comme à Saint-Jean-de-Latran, il s’est, d’après la remarque de Mgr de Waal, reconnu comme fils du Pauvre d'Assise. |

Au-dessous du couronnement, dans la zone inférieure, la mort de la Vierge. Aux pieds de la morte, en première ligne, avant les disciples, avant les apôtres, avant tout le monde, plus

(1) Storia dell'arte Italiana V. 176. Je me suis presque contenté de traduire sa belle page. (2) Venturi, op. laud., III. 870.

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près que tout le monde du glorieux cadavre, immédiatement après le Christ qui apparaît pour recueillir l’âme de sa mère, pieds nus, couverts de la bure, la corde aux reins, deux francis- cains prient.

Ces franciscains qui sont-ils ?

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J'ai raisonné, jusqu’à présent, comme si tout le monde admet- tait que Jacques T'orriti a été franciscain. Il n’en est rien. Si des maîtres éminents n'hésitent pas à l’appeler, dans leurs cours pu- blics ou dans leurs écrits, le « franciscain » Jacques Torriti, d'autres ne lui donnent jamais ce titre et quelques-uns même nient qu'il ne l’ait jamais mérité. Le grave Wadding lui-même, au XVIIe siècle, affirmait que Jacques Torriti n’appartint pas à l’ordre de saint François. Il est vrai qu’avant lui, comme nous l'avons vu, Vasari soutenait une opinion diamétralement oppo- sée et que, avant Vasari, au sein de l’ordre, fra Mariano de Florence, écrivait : « Vers cette époque (année 1292) frère Jac- ques Torriti était considéré comme un maître éminent dans l’art de la mosaïque ; ses œuvres se voient encore dans les absi- des de Saint-Jean-de-Latran et de Sainte-Marie-Majeure et dans plusieurs autres églises de diverses villes d'Italie. »(1) J’ajouterai que si, dans les milieux franciscains, vous parlez de Jacques Torriti, ce nom n’y trouve aucun écho particulier. Bien plus, une étude récente parue sous la signature d’un fils du Poverello conclut expressément : « Le nom d’un des plus illustres maîtres du XIII: siècle, celui de Jacques Torriti, doit, en dernière ana- lyse, être rayé du catalogue des artistes franciscains. » Examinons donc la question d’un peu plus près.

Pour le faire, quittons un instant Sainte-Marie-Majeure et re- venons à Saint-Jean-de-Latran. Je n’ai, jusqu'à présent, décrit qu'une partie de sa mosaïque, la partie supérieure. Celle-ci se continue au-dessous, entre les fenêtres gothiques de l’abside, par neuf figures d’apôtres sur fond d’or, debout entre des pal- miers; or, aux pieds de saint Barthélemy on voit agenouillé, sur la terre parsemée de fleurs, une petite figure portant l’habit de saint François, tenant en mains le marteau tranchant en usage encore aujourd'hui dans tous les ateliers de mosaïque,et débitant

(1) Compendium Chronicarum F.F. Min. apud Archivum Franciscanum His- toricum 1909, T. Il. p. 471.

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la galette d'émail ; auprès d'elle cette inscription : « Fr(ater} Jacob (us) de Camerino soci(us) mag (1s) tri op(er)is (se) recon- m(en)dat mi(sericord)ie D(e)i et meritis beati Ioh(ann)is » ce qui en bon langage franciscain, signifie : « Frère Jacques de Camerino, socius du maître de l’œuvre, se recommande à la miséricorde de Dieu et aux mérites du bienheureux Jean. » Et en face de cette petite figure, aux pieds cette fois de l’apôtre saint Jacques le Majeur, un autre franciscain, non accompagné d'inscription, tient en mains, non plus les outils de l’ouvrier mosaïste, le marteau et la galette d’émail, mais les instruments nobles du maître de l’œuvre, l’équerre et le compas, et prie, lui aussi, agenouillé. Cette seconde figure, laquelle est-elle, sinon celle de fr. Jacques Torriti qui, agenouillé aux pieds de son pa- tron saint Jacques, prie dans sa bure de Mineur ? Etsi on n’a pas jugé à propos d'inscrire son nom à côté d'elle, quelle peut être la raison de cette lacune, sinon que le nom de Jacques Tor- riti est inscrit au-dessus d'elle dans la partie supérieure de la mosaïque ? Sans cela, comment expliquer qu’on proclame le nom du compagnon, sans faire la même chose pour le maître ? Est-il d'usage, en pareille matière, de glorifier l’ouvrier, celui qui découpe l'émail en cubes, et de laisser dans l’oubli le maître, celui dont le génie a créé le chef d'œuvre ?

Ceci, à Saint-Jean-de-Latran. Et si nous revenons un ins- tant à Saint-Marie-Majeure, qui retrouvons-nous agenouillés, non plus cette fois aux pieds de leurs saints protecteurs, mais à la première place, avant les disciples, avant les apôtres, aux pieds du lit de mort de la Vierge-Marie ? Deux franciscains. Et ces deux franciscains, mis à cette place inusitée, qui peuvent-ils être, sinon fr. Jacques Torriti, auteur de la mosaïque de Sainte- Marie-Majeure comme il l'était de celle de Saint-Jean-de-Latran, et son fidèle compagnon fr. Jacques de Camerino ?

D'ailleurs, si ces faits, joints au témoignage de fra Mariano de Florence et de Vasari ne suffisaient pas, tous les doutes doi- vent tomber devant un texte contemporain des événements qui, je crois, n’a pas encore été pris en considération.

Le voici ; il est antérieur au 25 août 1337 et a été publié par M. de Kerval dans sa Vie de Saint Antoine de Padoue p.125 (1) J'en donne la traduction : « Au temps du pape Boniface VIIT (2)

(1) Sancti Antonii de Padua vitae duae quarum altera hucusque inedita. Paris 1904. Pour la description et la date du manuscrit voir p. 16-17.

(2) 1294-1305.

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fut réparée l’abside de la basilique c’est-à-dire de Saint-Jean-de- Latran à Rome, que l’on appelle l’episcopium. Deux frères Mineurs, très habiles et très experts dans leur art, furent chargés de l'orner de peintures. Ces deux frères s’apercevant qu'entre les figures que le pape les avaient chargés de peindre il y avait place pour d’autres images, y peignirent de leur propre autorité les images de saint François et de saint Antoine. Le fait ayant été rapporté au pape par quelques clercs envieux, celui-ci leur dit : « Comme l’image de saint François est là, laissez-la ; quant à celle de saint Antoine de Padoue, nous n’en avons que faire. Détruisez-la et faites mettre saint Grégoire pape à sa place. » Les clercs obéirent et grimpant l’un après l’autre vers la voûte de l’abside pour détruire l’image, ils confessèrent qu'ils se sen- tirent repoussés vers la terre par une main puissante et cela violemment et rapidement. Et soit de suite, soit bientôt, tousils rendirent le dernier soupir. Boniface VIII apprenant la chose, dit : « Laissons ce saint tranquille, car je vois qu’il y a plus à perdre qu’à gagner avec lui. »

Ce texte dans sa naïveté, est précieux. Il témoigne de l’émo- tion qu'avait causée cette adjonction, alors inouïe, des deux saints franciscains, aux apôtres de l’église primitive. Il montre l'étonnement qu'on éprouvait de voir que le fondateur de l'or- dre franciscain était placé dans l’abside de l’église patriarcale de Rome par le premier de ses enfants qui montât sur le trône pontifical, alors que saint Benoît, dont tant de disciples avaient ceint glorieusement la tiare, ne se voyait nulle part. Rappe- lez-vous que c’est par saint Grégoire-le-Grand, un bénédictin, que l’on veut remplacer saint Antoine de Padoue.—Il est de plus un écho populaire des difficultés qui surgirent, à certain moment, entre une partie de l’ordre des Mineurs et le pape Boniface VIII. Il confirme enfin une phrase de Vasari que je n'ai pas encore ci- tée, et il est dit que « en 1308 Gaddo Gaddi fut appelé à Rome par le pape Clément V pour mettre la dernière main à la mosaïque laissée inachevée par le frère Jacques Torriti. » Il nous montre en effet que la mosaïque ne fut pas terminée, comme on le croyait sans raison aucune, en 1291. Enfin et sur- tout il établit de la façon la plus formelle que bien avant Vasari, bien avant Mariano de Florence, au commencement du XIVe siècle, quarante ans au maximum après les faits, la mosaïque de Saint-Jean-de-Latran était considérée même dans des milieux éloignés de Rome on parle de peintures au lieu de mosaï-

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ques, de Boniface VIII, comme ayant commencé les travaux, au lieu de Nicolas IV la mosaïque était considérée, dis-je, comme l’œuvre de deux Mineurs, très habiles et très experts dans leur art, de ces deux Mineurs dont nous avons trouvé l’image, les instruments du mosaïste à la main, à Saint-Jean-de- Latran, de ces deux Mineurs que nous avons trouvés priant, à Sainte-Marie-Majeure, au lit de mort de la Vierge dont ils ve- naient de dessiner le triomphe sur la pierre, de fr. Jacques Tor- riti et de fr. Jacques de Camerino, en un mot, dontfr. Mariano et l'inscription nous révèlent les noms. Mais notons-le, notre texte ne nous montre les deux artistes à l’œuvre sous l’habit fran- <iscain qu'à l’époque de Boniface VIII, ce qui nous laisse libres de supposer qu’au moment fr. Jacques Torriti signait la partie supérieure des mosaïques de Latran et de Sainte-Marie- Majeure sans faire précéder son nom du mot frère,il n'avait pas encore effectué son entrée dans l’ordre ; mais il y était bien lors- qu'à Sainte-Marie-Majeure comme à Saint-Jean-de-Latran, on le représente dans la zone inférieure des deux mosaïques, vêtu de la bure et les reins ceints d’une corde.

+ * *

Ceci bien établi, disons rapidement que fr. Jacques Torriti semble avoir donné le jour a bien d’autres œuvres encore que celles que nous venons d'étudier. Hermanin lui attribue une mosaïque qui se trouve à Rome, dans l’église Saint-Chrysogone; c'est une Vierge tenant un Enfant-Jésus drapé de rose et d'or, aux chevelures traitées rudement, aux parties lumineuses très blanches, aux ombres très opaques. Fr. Jacques Torriti a aussi travaillé à côté d'Arnolfo di Cambio, le grand disciple de Nico- las de Pise, au tombeau de Boniface VIII ; il a signé sa mosaïi- que Jacob. Torriti pictor., et Venturi croit que « c'est la le der- nier souvenir de l'admirable maître romain.» (1) On remarquera ce mot de pictor, peintre, dont « l’admirable maître romain » si- gne ses œuvres. Car il peint beaucoup. On suit sa trace à Assise, lors des grands travaux qui y furent entrepris sur l'initiative de Nicolas IV. La voûte de la basilique supérieure, dans sa travée médiane, semble avoir été décorée par lui. Déjà Crowe et Ca- valcaselle avaient remarqué que « par la distribution, par la

(1) Venturi, op. laud., V. 180.

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vivacité et par le relief du coloris, cette œuvre rappelle, outre la manière de Cimabué, celle du mosaïste Jacopo Torriti. » En- fin toute une série d'œuvres remarquables, sur les parois de droite et de gauche de cette même église supérieure d'Assise, sont vraisemblablement de lui. Il est, avec Pierre Cavallini, le plus grand artiste de son temps ; la variété de ses compositions est admirable, son style est grandiose et la proportion qu'il sait établir entre les figures, les dimensions de l'édifice, et la hauteur elles sont placées, faisait, hier encore, l'admiration de Gers- pach. Il y aurait des pages à écrire sur ce sujet. Mais je suis forcé de me limiter pour traiter rapidement encore, une autre question fameuse, celle-ci : fr. Jacques Torriti est-il aussi l’auteur de la mosaïque du Baptistère de Florence,comme le veut Vasari? question sur laquelle des volumes ont été écrits et qui a, on le verra, un intérêt tout spécial pour quiconque s'intéresse aux cho- ses franciscaines.

*k * *

Rappelons d’abord les faits. L’abside du Baptistère de Flo- rence est orné d'une mosaïque dont voici la description som- maire : au fond de la voûte est debout l’Agneau, la tête entourée de l’auréole crucifère. Autour de lui, des anges aux ailes éployées, les mains élevées au-dessus de leur tête ; des Patriar- ches et des Prophètes, graves, largement drapés, des feuillets à la main ; des oiseaux, des cerfs, des figures étranges remplissent l’espace, coupé par des colonnes au-dessus desquelles des géants aux formes herculéennes, aux membres cyclopéens, soutiennent, d'un geste d’une puissance décorative merveilleuse, le cercle au milieu duquelle brille l’Agneau.

Au pied de cette mosaïque, groupés deux par deux, se lisent ces huit vers :

Annus papa tibi nonus currebat Honori,

Ac Federice tuo quintus monarca decori,

Vigini quinque Christi cum mille ducentis Tempora currebant per secula cuncta manentis : Hoc opus incepit lux maïi tunc duodena

Quod Domini nostri conservet gratia plena ; Sancti Francisci frater fuit hoc operatus Jacobus in tali pre cunctis arte probatus.

Ce qui signifie : « La neuvième année courait de ton ponti-

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ficat, pape Honorius, et la cinquième de ton règne glorieux, empereur Frédéric, et la douze cent vingt-cinquième de l'ère du Christ, qui ne verra plus de fin ; lorsque le douzième jour de mai commença cette œuvre que Dieu, dans la plénitude de sa grâce, veuille bien conserver ! L'auteur en est un frère de l’or- dre de saint François, Jacques, qui, dans son art, éclipsait tous ses contemporains. » (1)

Ce mystérieux artiste, qui s'appelle Jacques, qui appartient à l'ordre de saint François, qui était le premier des maîtres de son temps, dont on proclame la collaboration en huit vers héroïques interviennent Dieu, le pape et l’empereur ; cet artiste qui fut puissant que d'ailleurs tous les historiographes de l’ordre, depuis Celano jusqu’à Wadding, en passant par fra Mariano de Florence, semblent ignorer, cet artiste, dont on dit aujour- d’hui qu'il fut, à un certain point de vue, le précurseur de Mi1- chel-Ange, quel est-il ?

Le même que fr. Jacques Torriti, a répondu comme nous l'avons vu, Vasari, dans sa seconde édition.

Un personnage tout différent a répondu la critiqne moderne. Car, comment admettre qu’un artiste qui, le 12 maï 1225, tra- vaillait à Ja mosaïque du Baptistère de Florence et qui,alors déjà, éclipsait tous ses rivaux, pût encore travailler soixante-six ans après, en 1291, à l’abside de Saint-Jean-de- Latran, et soixante- dix ans après, en 1295, à celle de Sainte-Marie-Majeure ? En admettant qu’il fût âgé de 30 ans en 1225,il était donc centenaire en 12ÿ5 ; et comment faire de la mosaïque à cent ans ? D'ailleurs la mosaïque du Baptistère est d’un style tout différent de celles de Saint-Jean-de-Latran et de Sainte-Marie-Majeure.

J'avoue que, ni l’un ni l’autre de ces arguments n’a le don de m'émouvoir. D'abord est-il bien sûr que l'inscription soit du 12 mai 1225 ? Elle ne l'est certainement pas ; car François d’As- sise y reçoit l’épithète de saint ; or, le 12 mai 1225, non seule- ment le Poverello n'était pas un saint, mais il était encore en vie ; il ne mourut que le 3 octobre 1226 et ne fut canonisé par Grégoire IX que le 16 juillet 1228. Notre inscription est donc postérieure au 16 juillet 1228 et de combien ? Mais, me direz- vous, l'inscription dit que « le douzième jour de mai 1225 » vit le commencement de l'œuvre ? Les commencements, oui, en ce sens que c’est le 12 mai 1225 que les consuls de l’arte di Calhs-

(1) Honorius III a été élu le 18 juillet 1216, consacré le 24 du même mois, et est mort le 18 mars 1227. Frédéric II a été ccuronné empereur le 22 novembre 1220.

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mala, auxquels incombait l'entretien du Baptistère, prirent une délibération ordonnant que son abside serait décoré de mosaïi- ques. Mais entre une semblable délibération et son exécution, combien passe-t-il d'années ? Qui de nous ne pourrait citer par dizaines les monuments, dont la décoration a été ordonnée il y a un demi siècle, et qui sont encore aujourd’hui aussi vierges qu’alors ? |

Le second argument ne m'émeut pas davantage : 1l y a des dif- férences de style entre l’œuvre du Baptistère et celles de Rome ! Mais, le propre de l'artiste n’est-1l pas de changer et, pour ne parler que de ce qui se passe journellement sous nos yeux, dans les œuvres du Besnard de la Villa Médicis, reconnaîtriez-vous l’auteur des plafonds qui font courir tout Paris, et dans les vues de Venise de Cottet, celui des sombres veillées bretonnes ?

Ces arguments, donc, je le répète, ne me frappent pas ; mais ce qui me frappe c'est que fr. Mariano, un florentin, quand il nous parle de fr. Jacques Torriti, nous dise qu'il est l’auteur des mosaïques de Rome, et qu'il n’ajoute pas : il est aussi l’au- teur de la mosaïque de Florence. Rappelez-vous sa phrase : «a Vers cette époque (année 1292) fr. Jacques Torriti était consi- déré comme un maître éminent dans l’art de la mosaïque ; ses œuvres se voient encore dans les absides de Saint-Jean-de-La- tran et de Sainte-Marie-Majeure et dans plusieurs autres églises de diverses villes d'Italie. » Et pas un mot du Baptistère ! pas un mot de cette œuvre signalée à l'attention de tous par l'ins- cription la plus sonore qui s'étale sur les nombreux murs des monuments de Florence. Il ne la cite pas parmi celles de Jac- ques Torriti ; donc il considère qu’elle n'est pas de lui, et 1l le considère sur des bases assez solides pour entraîner sa convic- tion. Et ce qui me frappe aussi, c'est qu'au moment il publiait la première édition de ses œuvres, Vasari était dans la même ignorance que fra Mariano, qu'il ignorait que l’auteur de la mosaïque de Florence s’appelât T'orriti.

Mais alors, si ceJacques, frater sancti Francisci, que les con- suls de l’ Arte di Callismala ont si magnifiquement célébré dans leurs vers n’est pas le même que Jacques Torriti, qui est-il ?

Ici intervient une hypothèse qui me plaît infiniment. Thomas de Celano raconte que le jour même de la mort de saint François « un de ses frères et disciples, jouissant d'une célébrité qui n’est pas médiocre, et dont lui, Thomas de Celano, ne veut pas dire le nom parce que ce frère, aussi longtemps qu'il est en vie, dé-

62 TROIS MOSAISTES FRANCISCAINS AU XIIIe SIÈCLE

sire fuir la publicité, ce frère, dis-je, vit l’âme du séraphique Patriarche monter directement au ciel. Elle était comme une étoile...etc» Le nom de ce frère, que Thomas de Celano n’a pas voulu livrer, qu'après lui saint Bonaventure aussi a gardé secret, Bernard de Besse nous le livre dans son de Laudibus:il s'appelait Jacques. Les frères de ce nom sont infiniment rares dans l’his- toire primitive de l’ordre, et le seul qui soit arrivé à la célébrité c'est précisément notre fr. Jacques, auteur de la mosaïque du Baptistère de Florence. De là, à identifier le Jacques, frater sancti Francisci qui vers 1226 éclipsait dans son art tous ses contemporains, avec le Jacques dont /a célébrité, précisément à ce même moment, n’était pas médiocre, il n’y avait qu’un pas à faire. Ce pas, Davidsohn le fit.

Et je dis que son hypothèse me plaît infiniment. Car autre- ment comment pourrait-on expliquer que les auteurs primitifs de l’ordre n'aient pas parlé de l’auteur fameux de la mosaïque de Florence ? Le nom d’un fr. Pacifique, parce qu’il fut trouba- dour, se trouve partout ; et celui bien autrement célèbre de fr. Jacques, ne serait nulle part ? Mais si ; ni Thomas de Celano, ni Bonaventure ne l’ignorent, mais ils le cachent à cause même du lustre dont il est entouré ; et quand,cinquante ans plus tard, Bernard de Besse le révèle, on a oublié les mérites artistiques pour ne se souvenir que de l’éminente et surabondante sainteté du frère qui a vu, de ses propres yeux, le soir du 3 octobre 1226, l’âme du Poverello monter au ciel, à l'heure les alouettes de la Portioncule se mirent à chanter pour saluer cette nouvelle aurore. Ainsi se trouverait expliquée une anomalie inexplicable autrement.

Quoiqu'il en soit de cette opinion, le fait est : la première œuvre d’art sortie de la main d’un enfant de saint François an- nonce, au commencement du XIII° siècle, les splendeurs du XVI°; tandisque celles qui, cinquante ans plus tard, s’étalent à Rome sous le marteau de ses successeurs, celles de fra Jacopo Torriti, le grand artiste,et de fr. Jacques de Camerino, le robus- te ouvrier, résument dans leur éclat toutes les merveilles dont la mosaïque, depuis Constantin, illuminait les églises de Rome. Les unes et les autres sont également admirables.

« Je veux, disait saint François, que tous mes frères travaillent et exercent un art. » Jacques frater sancti Francisci, fr. Jacques Torriti et fr. Jacques de Camerino ont travaillé et proclamons-

le avec fierté, ils l’ont fait merveilleusement. H. MATROD.

NOTICE ET EXTRAITS D'UN MANUSCRIT DU MUSÉE BRITANNIQUE. ADD. 19994 RELATIF AUX CORDELIÈRES DE NOYEN-

sd

Au mois de février 1631, le marquis de Sablé, Philippe Em- manuel de Montmorency Laval et sa femme, Madeleine de Souvré pour laquelle sans doute fut écrit le livre De la fréquen- te Communion (1643) d'Antoine Arnauld, établirent à Sablé (1} une maison de religieuses Cordelières sous le patronage de sainte Elisabeth, afin d’honorer par un culte d’adoration perpé- tuelle le très saint Sacrement de l'autel.

Une maison semblable fut établie le 29 avril 1637 à Noyen, par la marquise de Kerveno, baronne de Noyen. Les construc- tions conventuelles ne furent terminées et closes qu’au mois d'octobre suivant.

Le couvent prit pour armoiries ce blason : « d’azur au chef de gueules, chargé de deux étoiles d’or. »

Le tome I des Archives du Cogner publié par M. l'abbé Denis (Paris 1903, série H, n°81, p. 308) contient une pièce du 1* février 1685 relative à cette maison. On trouvera à la bibl. de l’Arsenal à Paris, ms. 10184 deux pièces de 1741. Le Catalogue des mss. de la bibliothèque franciscaine provinciale (Paris 1902) indique aussi plusieurs copies de documents : mss. 282 (838), 284 (167-5), 474 (55). M. l'abbé Leveau enfin a écrit une char- mante monographie intitulée Le couvent des Cordelières à Noyen, dans les Annales Fléchoises (février et avril 1903, p. 94-100, 211-217).

(:) Cf. P. E. Chevrier. Inventaire des Archives de l'hospice de Sablé suivi de notices historiques. Sablé 1877. in 8, p. 461-464. C’est donc dans les bâtiments de ces religieuses de Sablé que naquit dom Guéranger le 4 avril 1805.

64 NOTICE ET EXTRAITS D'UN MANUSCRIT

Le Musée Britannique possède, à Londres, un ms. petit in-fo- lio, le Livre des professions. Add. 19 994, de 79 feuillets écrits. Papier. Original. Sur la reliure, se trouve trois fois répété ce fer :

Saint Jean l'Évangéliste était le patron du couvent des Corde- lières de Noyen.

Fol. 1: « Livre des professions pour le monastère du Sainct Sacrement de Noyen l’an 1641, diocèse du Man.

Fol. 2 « + Jesus. Marie. Joannes. Au nom du Père, du Filz et du sainct Esprit, par honneur au très sainct Sacrement, à la saincte Vierge et à sainct Ian l’Evangéliste, titulaires et protecteurs de ce monastère, et pour mémorial à la postérité. Comme rien ne se trouve parmy la vie civile de plus honteux, ny de plus ridicule que l’oubli des bienfactz reçus des hommes.

de « On saura donc que l'an de grâce vers la feste de notre mère saincte Elizabeth furent conçeues les 1" pensées de l’esta- blissement de ce monastère... » Suit la chronique qui va jus- qu’au g août 1641. Ensuite viennent des additions, du 15 février 1645 au 7 avril 1649. Voir l'appendice.

Fol. 6 vo. « Le mars 1648 jour de sainct Thomas d’Aquin mourut notre sœur Sébastienne Moisné, native de la Flèche soeur l’âge âgée de 21 ans et la première appellée de Dieu de ce monastère... elle fut enterrée en l'Eglise Sainct Germain en la chapelle de saincte Magdelaine du costé du prieuré, pour n'avoir pas encore en ce monastère de lieu bénist pour les sépultures des frères. »

Fol. 7. « Celles qui voudrons voir le décès de nos autres:sœurs auront recours au martirologe francois. »

Fol. 9-79. Actes des professions. 20 janvier 1639 jusqu’au 12 septembre 1730 :

Marie Pillet, 20 janvier 1639. Renée Coffé, 25 janvier 1630. Urbaine de Bastard, 4 juin 1641

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Gabrielle de Choisnet,

Madeleine le Vigneau,

Jeanne de Courtalain, 21 novembre 1641.

Jacqueline Moreau, 28 novembre 1641.

Louise du Vau du Bouchet, 30 juin 1642.

Marguerite de Bastard, 30 juin 1642.

Marthe Duval, 16 juin 1643.

Sainte du Juglart, 4 août 1643.

Anne Poirier, 25 septembre 1644.

Jeanne de la Leu, 7 novembre 1644.

Suzanne Gautier, 7 juin 1645.

Agathe Cosset, 8 août 1645.

Céleste Cosset,

Colombe de la Haye, 31 octobre 1645.

Elisabeth d'Oisseau, 21 novembre 1645.

Angélique Le Gendre,

Sébastienne Moyné,

Agnès de Choisnet, 30 juillet 1646.

Paule du Noyer,

Catherine de Longueil, 18 septembre 1646.

Thérèse Le Valet, 24 janvier 1647.

Thècle Galichon, 14 mars 1647.

Françoise de Courtalain, 3 juillet 1647.

Claire du Noyer,

Radegonde du Juglart, 4 juillet 1647.

Perrine Le Breton, 27 novembre 1647.

Hélène Jarry, 2 juillet 1648.

Scolastique Aumont, 3 janvier 1649. Cette profession est si- gnée par le « Frère Grégoire de Mannoury prédicateur récollet député de Messieurs les Grands Vicaires du Mans. »

Ursule de la Place, 10 septembre 1650.

Madeleine Cosset, 14 mai 10651.

Françoise Jacques de la Borde, 17 septembre 1651.

Geneviève Girard, 19 novembre 1654.

Julienne du Teil,

Marie Rivrain, 15 février 1655.

Françoise Regnoul, 18 mai 1655.

Marie Angéle du Bois, 6 juin 1655.

Marie Eugénie Dezé, 18 juillet 1655.

Marguerite Suzanne Dezé,

E, F. xxIX. 5

66 NOTICE ET EXTRAITS D'UN MANUSCRIT

Anne Claude Desaulnays, 13 juin 1656. Marie Séraphine des Champs, 13 octobre 1658. Catherine Faifeu de la Courbe, 4 février 1659. Andrée Chassebœuf, 5 juin 1659.

Anne de Chantelou, 23 septembre 1659. Françoise Gohory, 5 février 1662.

Marguerite du Vau, 17 mai 1663.

Louise Rollée, 6 octobre 1664.

Charlotte de la Rue, 5 novembre 1664.

Marie de Vasbres, 14 juillet 1670.

Jeanne de Vasbres,

Marie Bourgoin, 6 juin 1685.

Anna Guyot, 7 octobre 1687.

Anne Renaudin, 19 octobre 1704.

Marie Hardange, 28 octobre 1705.

Anne Clouët dela Lis, (1)

Urbaine Masonneau, 29 juillet 1710.

Françoise Elisabeth Masonneau, 5 février 1706. Catherine Gasselin de Richebourg, 28 septembre 1711. Renée Thérèse Mignot de Doudan, 14 septembre 1712 Françoise Bougard, 30 janvier 1713.

Catherine Françoise Hubert, 20 février 1713. Marie Madeleine de la Roche, 22 juin 1716. Françoise Bourgoin, 23 septembre 1716. Louise Chambot, 13 juin 1718.

Marguerite Bougard, 5 juillet 1723.

Marie Angélique Durant, 13 août 1725.

Marie Gabrielle du Bouchet, 12 septembre 1730.

La rédactrice de la chronique (fol. 2-8), Marguerite d’Ap- chon, a rédigé les actes de protession jusqu’à l’année 1647. Les additions, de 1641 à 1646 inclusivement, sont aussi de sa main. Les Supérieures indiquées dans ces actes sont les suivantes :

Marguerite d'Apchon, jusqu’en 1658. Gabrielle de Marcé, 1659. Marguerite d’Apchon, 1662-1670. Gabrielle de Marcé,1685,1687. Madeleine du Noyer, 1704-1716.

(1) Voir la constitution de dot d'Anne Clouet (Couet) en date du 16 août1704, dans Les Annales Fléchoises, février 1903. p. 98-100.

DU MUSÉE BRITANNIQUE. ADD. 19 994 67

Marie Bourgoin, 1718. Anne Clouet, 1723, 1725. Anne Renaudin, 1730.

Il est facile d’expliquer, aux archives départementales de la Sarthe, l'absence de documents relatifs aux Cordelières de No- yen. Leur couvent fut supprimé au XVIII: siècle.

Le 31 janvier 1758, un arrêt du conseil d'Etat du Roi pronon- ça cette suppression, « attendu que cette communauté est ré- duite à un très petit nombre de religieuses, et que ses revenus ne sont pas suffisants. » Vers la même époque, les officiers munici- pauxenvoyèrent un mémoire à l'évêque du Mans, pour obtenir que le temporel des Cordelières de Noyen fût réuni au couvent des dominicaines des Maillets du Mans (Arch. Sarthe. H. 1709).

Le décret de l’évêque du Mans ne fut rendu que le 6 août 1773. Il portait suppression des Cordelières, union des biens aux Dominicaines des Maillets, puis établissement d’une école de charité (Arch. nationales de Paris. X12 8805, fol. 222-243). Le roi confirma le décret de l’évêque le même jour,6 août 1773 (Ibid. fol. 243).

P. UBALD d’Alençon

Appendice

Nous publions ici le récit de la fondation des Cordelières de Noyen tel que le donne ce ms. add. 19 994. fol. 2, fol. 6 :

« On saura donc que l’an de grâce vers la feste de notre mère saincte Elizabeth furent conçuesles 1'° pensées de l’establissement de ce monastère par Madame Catherine de L’annoy, marquize de Guervenault, dame de cette ville de Noïen et par le père Jean Baptiste Bougler pbre de l'Oratoire de Ihésus, natif de la ville de Noyen (1), qu’elle envoia à mesme temps en proposer le dessein à ma sœur Gabrielle d’Aschon, supérieure du monas- tère de Sablé, nous y servant lors en qualité de vicaire, monas- tère que par la miséricorde de Dieu nous avions étably toutes deux en l’an 1631.

« Cette proposition nous ayant d’abord semblé de difficile succez, nous obligea de la conserter plus particulièrement et de

(1) Jean Baptiste Bougler fut reçu à l’Oratoire »#n la maison du Mans en 1624 et ordonné prêtre en 1626, d'après le Catalogue général des entrées à l’Institution de l'Oratoire (Communication de M. l’abbé Bonnardet).

68 NOTICE ET EXTRAITS D'UN MANUSCRIT

l'offrir à Dieu, luy demandant sez lumières sur un ouvrage qui ne devoit estre entrepris que pour sa gloire.

« L'ouverture que nous fist le père Bougler, de consacrer l'ouvrage proposé au très sainct Sacrement de l’Autel et le pren- dre pour titulaire, nous donna comme un jour très clair à toutes les difficultez qui sembloist devoir s’oposer à tous nos proiects et nous fist resoudre d’agreer cet engagement, soubs les condi- tions dont nous chargeasmes le père, affin d’estre raportées à Madame la Marquise de Guervenault, pour avoir d'elle l’arrest de ces sentiments sur cette affaire.

« Madame la Marquise, aiant treuvé nostre responce selon son dessein, peu apres en recrivit à feu Monseigneur de bonne memoire, l’ilustricime Charles de Bau-manoir pour lors evesque du Mans (1) le supliant d’avoir agreable, le desir qu’elle avoit, de consacrer en sa ville, une maison de filles Religieuses au ser- vice de Dieu, pour la consolation et l’edification du public.

« Ce Bon evesque la memoire duquel, nous avons parti- culière obligacion) quy outre sa bonté ordinaire avoit grande estime de la vertu et piété de madame la marquize, et estoit porté de speciale bonne volonté pour notre nom, tesmoigna agréer ce pieux desir, et fist une responce autant favorable qu'on eust peu desvier, sur laquelle madame la marquize arresta entierement la resolution de cet ouvrage, dont à mesme temps elle dressa le project pour le faire reussir au succez qu’elle desiroit.

« Pour y donner commencement elle traita par contrat avec ma sœur Gabrielle d'Apchon superieure de Sablé et avec que nous, lequel contrat est joinct avec le consentement des habitants du dit lieu de Noyen et la requeste de la ditte dame estant pré- sentée à Monseigneur du Mans, fut par luy consenti et formé le decrét de l'érection du monastere, et cela le 6®° du mois de May, feste de saint Jan l’evangeliste qu’on apelle devant la porte lati- ne, l’an 1631.

« Je croy en cet endroit estre obligée de dire une chose con- ciderable, quy m’a semblé digne de remarque, c’est que ma souer Gabrielle d’Apchon superieure de Sablé et moy, nous entretenant sur le propos du choix d’un sainct pour estre protec- teur du monastere, apres l’auguste titulaire que nous avions choisy, et la generale protectrice des maisons Religieuses la

(1) Charles Jean de Beaumanoir de Lavardin évêque du Mans mourut le 17 no- vembre 1637 et eut pour successeur Emeric Marc de la Ferté mort à son tour le 30 avril 1648. Cf Gallia christiana, tome XIV. Paris 1856, in fol, col. 415-416.

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saincte Vierge, 1l nous vint en pencée que sainct Jan l’evange- liste, le bien aymé de l’un et de l’autre, n’en devoit point estre separé et qu'ayant esté donné par Jesus mourant, pour filz et garde à la Saincte Vierge nous ne pouvions choisir un meilleur protecteur, pencée que ce grand sainct tesmoigna agréer en vou- lant que le decrét du monastere fust signé le jour de son martire, ce quy ariva avec plus de facilité qui personne ne l’ust ozé esperer.

« Tout au mesme temps on pensa à l'élection du lieu pour le bastiment du monastere, et fut choisy celuy nous sommes situées en la paroisse de Sainct Germain, d’antiquité consacré aussy au tres sainct sacrement, dont le raport ayant esté faict à Monseigneur du Mans, il commist le venerable maistre Pierre Ameslon, presbytere archidiacre de Sablé son promoteur, pour visiter le lieu, l’agréer de sa part, et nous y amener pour y plan- ter la Croix.

« La chose fut donc accomplie de cette sorte, le susdit mais- tre le promoteur nous estant venu prendre à Sablé, ma sœur la mere superieure de Sablé et moy, avec deux compagnes, nous a mené à ce logis de madame la Marquize de Guervenault, le vendredi 29° may du mesme an, et le mesme jour consacré à la Passion du Filz de Dieu ; la croix quy auparavant avoit esté portée par les ouvriers en l’eglise de N. Dame, y fut beniste so- lennellement par mon dit sieur archidiacre, puis avec une cele- bre procession aportée par quatre presbyteres, tout le clergé revestu d'ornements et suivie de presque tous les habitantes de la ville jusqu’au lieu ell’est maintenant plantée au coin de la maison destinée pour le monastere, après quelque motets en musique et oraisons ordinaires, elle fut plantée, nous estant presentes.

« En l’octave du Sainct Sacrement suivant fut mise la ire pierre de la closture du monastere, par madame la marquise de Guervenault, laquelle closture et autres acommodements de la maison, et chapelle, pour mettre toutes choses en regularité, fut poursuivie, avec si grande diligence par le pere Bougler que le tout fust prest vers le fin de septembre de la mesme année.

« Toutes choses, en estat, le dit monsieur le promoteur susdit fut de rechef commis par feu Monseigneur l’evesque pour nous venir querir à Sablé et nous transporter en ce monastere pour le commencer.

« Monseigneur l’evesque avoit dès le commencement fait

70 NOTICE ET EXTRAITS D'UN MANUSCRIT

choix de notre personne, quoy que je fusse indigne de tout em- ploy, pour estre institutrice et premiere superieure de ce monas- tere, m'aiant donné le choix de celles quy y devoits cooperer avec que moy à ce sainct ouvrage et je luy proposé quattre com- pagnes, Souer Elizabhet de Champagnette, Souer Marthe Guiard, et Souer Therese Guibert, Religieuses du chouer, et souer Marguerite Ferrand, Converse, ce qu'il agréa.

« Donques le jeudi premier octobre, dudit an, jour dedié au Sainct Sacrement, et qu’on celebroit la feste de l’ange gardien, et à Noyen, la translation de Sainct Germain dans le theritoire duquel nous allions demeurer, nous partismes de Sablé, ma souer la mere superieure de Sablé, et moy, avec mes sudittes compagnes, et quelques unes des premieres Religieuses de Sablé, conduites par le susdit Monsieur le promoteur et autres ecclé- siastiques, et arivasmes le mesme jour à Noyen nous fusmes resceües avec aplaudissement premierement de Madame la mar- quize de Guevenault, et puis de tout le peuple, et avec celebri- du son des cloches de toutes les églises, esquelles aiant salué le Sainct Sacrement, nous vinsmes coucher dans le monastere.

« Le vendredy et samedy suivant, nous les emploiasmes à disposer l’eglise pour le Sainct Sacrement, et la ceremonie que ce debvoit faire pour le transporter en notre eglise le dimanche d’après.

« Ce fut le Octobre, jour dedié à notre bien heureux pere sainct Francois, et qu’on celebroit en l’eglise Nostre Dame, et par toute la ville la solemnité de N. Dame du rosaire, que le Sainct Sacrement fut exposé publiquement, en la ditte eglise de N. Dame, la grande messe fut chantée solemnellement, nous presentes, acompagnées de madame la Marquize de Guervè- nault, Mademoiselle sa fille aynée, et autres dames et demoisel- les de condition.

« Au millieu de la messe, la predication fut faitte par le pere Bougler, sur les subjectes des rencontres des trois misteres, sça- voir le Sainct Sacreinent exposé notre titulaire, la solemnité de la Saincte Vierge, et la feste de notre bien heureux pere sainct Francois, chose qu'il fist quadrer au texte de l’evangile qui ve- noit d'estre chanté de la Saincte Vierge, et les paroles : Beatus venter qui te portayvit etc. (1).

« La messe finie l’on commensa la procession les ecclesias-

(1) Luc. XI, 27.

DU MUSÉE BRITANNIQUE. ADD. 19 994 71

tiques revestus de chappes et autres ornementes, acompagne- rent avec chantes et musiques, le venerable curé de Sainct Pierre, du dit Noyen, quy portoit le tres auguste Sacrement, soubs un dais de drap d’or, que portoist quatre ecclesiastiques ; les rues cependant estant tendues et ornées jusque en notre chapelle, comme au jour du tres Sainct Sacrement, et nous suivans im- mediatement les presbyteres acompagnées et conduittes des dames et damoiselles sudittes, et suivies d’une infinité de peu- ple, tant de la ville que des autres lieux circonvoisins.

« Arrivée que fut la procession et le Sainct Sacrement exposé sur le lieu destiné pour cela, le dit pere Bougler commença la premiere messe, quy ait esté celebrée en ce monastere, quy fut de Notre Bien heureux pere Sainct François, avec memoire du Saint Sacrement et de la Sainte Vierge, depuis laquelle messe et jour nous commencasmes à reciter et psalmodier hautement le service canonial selon l’uzage romain, sans que jamais nous y aions manqué du depuis, par la grace de Dieu, et j'ay toujours attribué le bonheur quy est arivé à cette maison au soin et au respec qu'ont eu toutes nos souers à perseverer en cette entre- prise, en laquelle je suplie Notre Seigneur de leur donner grace pour continuer. Voila tout ce quy regarde notre establicement.

« La mere superieure de Sablé,ma souer,laquelle m'avoit ame- née icy, et avoit demeurée avecque nous quelques sepmaines, s'en retourna à son monastère de Sablé avec les Religieuses quy l’acompagnast et ce fut une separation bien sensible de part et d'autre ; mais quand la gloire de Dieu nous apelle, il ne fault pas disputer avec le sange et la nature, et je prie toutes mes cheres sœurs quy viendront jamais en ce monastere, de ce con- duire par la grace, et de se separer des mouvements contraires.

« Le 12° d'octobre fut resceuë en ce monastere, pour y es- tre Religieuse du chouer, souer Marie Pillet, du Mans, et peu après souer Renée Cüesfé d'Angers, souer converse, et sont les deux premieres filles, quy soit entrées en ce monastere, comme l'on verra en suitte de leurs professions, cottées dans ce livre.

Le 17"° de Novembre 1637 mourut Monseigneur l'ilustricime Charles de Baumanoir, evesque du Mans, auquel ce monastere a l'obligation de son establicement et quy en a esté le premier superieur, apres la mort duquel fut nommé pour son successeur Monseigneur Emery Marc, Sieur de Lasferté,aumosnier du roy, natif de Rouen, attendant la concecration duquel, le siege de- meura vacant jusqu’à la feste de Pasques 1639 que le dit seigneur

72 NOTICE ET EXTRAITS D'UN MANUSCRIT

fut consacré evesque à Paris, l’evesché estant cependant gouver- par le chapitre du Mans.

« Le jour de Sainct Jan l’Evangeliste notre Protecteur, le 27% decembre 1637 nous donnasmes le sainct habit aux deux premieres filles de ce monastere, souer Marie Pillet ditte de Sainct Jan l’evangeliste et souer Renée Coesfé ditte de Sainct Joseph.

« Cette année 1638 au mois de Juillet souer Elizabhet de Champagnette, venue à l’establicement de ce monastere, eut obe- dience pour s’en retourner à son monastere de Sablé.

« L'an de grace 1638, le jour de Sainct Laurens, ariva icy la Reverende mére superieure de Sablé, ma souer, et toutes les Religieuses peu de jours apres, à la reserves de 5 seulement, quy furent envoiées à la (Graulerois en Anjou (1), et cela à raison de la peste, dont la ville estoit infectée, et le monastere en grand danger, et y demeurerent jusqu’à la fin de septembre auquel temps ma souer la mere superieure de Sablé me laissa pour m'aider, dans ce monastere, souer Magdelaine Le Tendre, ditte de la Croix.

« L'an de grace 1639, jour de l’octave de Sainct Jan l’evange- liste, notre protecteur, fist profession, Sœur Marie Pillet, pre- miere fille de ce monastere, entre les mains du pere Bougler, commis à cela par messieurs les vicaires generaux du chapire du Mans et le jour de la conversion de Sainct Paul suivant, souer Renée Coesfé rendit aussy ces vœux entre les mains du mesme.

« Le 23° Septembre du mesme an, en la paroisse dist Jan l'evangeliste de Chasteau Gontier, fut fait le premier contrat d’aquest de la terre de Mans, dont l'achat fut mesnagé par le pere Bougler.

« L'an de grace 1649, le 14%° mars fut faitte par madame la marquize de Guervenault, la fondation de nostre Chapelain, dont le contrat est dans les papiers du monastere.

« L'an de grace 1641, nous ayant eu obedience pour aller changer d'air au monastere de Sablé, je party de Noyen le 19m° juin, et y ayant séjourné quelques mois ; j'y laissé souer Marthe Guiard venue avecque moy pour l’establicement du monastere, et cela du consentement de ma souer la mere superieure de Sablé, avec obedience de Monseigneur nostre evesque.

(1) La Gauleraie, commune de Fougéré. Maine et Loire.

DU MUSÉE BRITANNIQUE. ADD. 19 994 73

« L'an de grace 1641 le Aoust vigille de St Laurens, fist sa premiere entrée et visite en ce monastere, monseigneur l'ilus- tricime Emeric, evesque du Mans, en calité de nostre superieur.

« L'an de grace 1645 le 15"° Febvrier jour de la translation sainct Anthoine de Pade, j'ay mis la premiere pierre des dor- touers et cloistres, quy a esté posé au millieu des fondementes du chapitre, et porté en son inscription, ihs mra ioaes, avec le datte sudit.

« L'an de grace 1645 le lundy 19° juin, les octaves du saint Sacrement, nous furent aportées par Monsieur le marquis du Puy du Fou,nommé Gabriel du Puy du Fou de Champagne (1) les lettres patentes du roy pour l’etablicement du monastere, par lesquelles il est mis en la specialle protection du roy, comme de fondation roialle, et indamnize les biens du monastere tant pre- sentes que futures.

« Cette mesme année le 19° d'octobre, s’en retournerent au monastere de Sablé souer Magdelaine le Tendre et souer The- rese Guibert, venues pour ayder à establicement de ce monas- tere, et cela du consentement des Religieuses de Sablé, et avec obedience de Monseigneur nostre evesque.

« L’an 1646 le 29" octobre Monseigneur du Mans fist les elections des officieres de la maison. »

(1) Cf. ma Notice historique sur Elisabeth du Puy du Fou, marquise des Plan- ches (1599-1655) Nantes. 1903. in.-8.

UN CONFESSEUR DE LA FOI AU XIX: SIÈCLE

Mgr de Oliveira appartenait à une des plus nobles familles du Brésil, sa mère était une Albuquerque. Il naquit à Pernambouc, le 27 septembre 1844. Dès ses premières années, il se sentit porté vers l’état religieux. Etant venu en France, pour y achever ses études au sémi- naire de Saint-Sulpice, il résolut d'écouter la voix qui l’appelait, et le 15 août 1863, il entrait au noviciat des Capucins, à Versailles, il fit profession le 19 octobre de l’année suivante.

Le Brésil était, à cette époque, en proie à une véritable anarchie. Les Francs-maçons exerçaient dans l'empire l’influence la plus néfaste. Les confréries, les associations religieuses, le clergé lui-même n'avaient point échappé à son action, et l'Église du Brésil offrait au monde chrétien le spectacle de la plus lamentable décadence. L'âme ardente du jeune Fr. Vital endurait un véritable martyre, à la pensée de tant de maux qui désolaient sa patrie. Éprouvé, d’ailleurs, par les rigueurs de plusieurs hivers qui avaient sensiblement altéré sa santé, il demanda et obtint de revenir au Brésil, afin de consacrer ses talents et son zèle à la régénération de ce malheureux pays.

C'est en 1868, qu'après un long et pénible voyage, il arriva au séminaire de Sao Paolo, il fut chargé du cours de philosophie.

Le jeune religieux ne tarda pas à se faire remarquer par son zèle et par ses vertus. Dom Pedro qui n'était pas fâché, sans doute, de voir élever à l'épiscopat un Brésilien de grande famille, le proposa, malgré sa jeunesse, pour le siège d’Olinda. Le P. Vital avait alors vingt-sept ans. Sa grande modestie s'effraya d'une charge qu’il jugeait trop lourde pour ses jeunes épaules ; il conjura le Pape d’éloigner de ses lèvres le calice amer qu’on lui offrait. Mais, en fils soumis de saint François,

(1) Une page de l'histoire du Brésil. Monseigneur Vital (Antoine Gonçalvès de Oliveira) Frère Mineur Capucin, Evêque d’Olinda. par le P. Louis de Gonzague, ©. M. C. Paris, Librairie Saint-François, 4, rue Cassette, Couvin. Maison Saint-Roch (Belgique). In-8° de X-308 pp. Prix : 5 fr.

AU XIXe SIÈCLE 75

il s’inclina devant la décision du Chef de l’Église, et bientôt il eut con- *quis l’affection comme l'admiration de son peuple.

Mgr de Oliveira n'était point combatif, par tempérament. Ses senti- ments délicats et élevés, comme aussi sa formation religieuse, l’incli- naient plutôt à la mansuétude et à l'amour de la paix. Mais, il était avant tout l'homme du devoir, et ni les injures, ni les menaces n'étaient capables d’intimider sa foi ou de faire fléchir sa conscience. Ce fut là, d'ailleurs, le trait caractéristique des sept douloureuses années de son épiscopat.

Les Francs-maçons ne tardèrent pas à s'en apercevoir, et impuissants à le faire servir leurs projets, ils résolurent aussitôt sa perte. Dès lors, une lutte s'engagea entre le Pasteur fidèle, prêt à donner sa vie pour son troupeau, et ces loups ravisseurs qui n’entendaient nullement aban- donner leur proie. A la violence et à l'injustice des procédés, Mgr de Oliveira n'opposa jamais que la douceur et le pardon des injures, avec l'affirmation digne et ferme de son droit. Les regards toujours fixés sur Rome, il ne s’inspira, dans toute sa conduite, que des prescriptions de l'Église et des décrets pontificaux. Son intransigeance a pu paraitre excessive à certains esprits prévenus ou mal informés. Elle fut même, pour le cœur du vaillant évêque, une source d’amers déboires et d'indi- cibles souffrances que, fort du témoignage de sa conscience et de sa soumission filiale aux directions du Souverain Pontife, il supporta jusqu'à la fin avec une héroïque patience. Mais l’histoire n'a pas de peine à justifier ses actes, et la haute approbation que leur donna le vicaire de Jésus-Christ, fut la grande consolation qui l’accompagn dans la tombe.

Nous ne pouvons rapporter ici toutes les péripéties de cette lutte devait succomber l’ardent défenseur des droits de Dieu et de l'Église. Il faut lire ce récit vraiment dramatique dans les pages pleines d’un émouvant intérêt que nous présente aujourd'hui le P. Louis de Gonza- gue. On y verra à quels excès de haine se porta contre le saint évêque la secte détestable qui terrorisait alors |’ Église du Brésil, et l'angélique bonté dont il usa envers ses persécuteurs. Le poison, la violence, la prison, tout fut tenté pour se débarrasser de sa personne. Ses ennemis ne reculèrent devant aucun moyen, pour combattre l'influence, chaque Jour grandissante, qu'il exerçait sur le troupeau confié à sa garde. Ils convinrent de le traîner devant les tribunaux. Quand les agents char- gés de l'arrêter se présentèrent pour remplir leur mission, ils trouvè- rent le prélat revêtu de ses habits épiscopaux. Ils voulurent lui faire quitter ces insignes : « C’est à l'évêque que vous en voulez, leur dit-il, le voici ; emmenez-le ; je ne sais rien autre chose. » Et ils l’'emmenè- rent.

Après une incarcération de dix-huit mois, durant lesquels il souffrit sans se plaindre et sans demander grâce, Mgr de Oliveira vint en

76 UN CONFESSEUR DE LA FOI

Europe, et alla à Rome, il rendit compte de ses actes à Pie IX, dont il obtint une Encyclique qui rappelait les vrais principes et qui... par conséquent, justifiait pleinement le courageux évêque. De Rome, il revint en France, pour y raffermir sa santé ébranlée par la prison et par les persécutions. Au bout de quelques mois, il reprenait le chemin du Brésil, les catholiques l’accueillirent avec un indicible enthou- siasme, espérant que, cette fois, rien ne viendrait entraver le zèle de leur pieux évêque.

Leur espérance fut bientôt déçue. Malgré la prudence qu'il apporta dans son administration, la lutte recommença, dès les premiers jours. Le gouvernement refusa de le reconnaitre comme évêque et d'entrer en relations avec lui. Son traitement fut supprimé, aussi bien que celui des prêtres qui se soumettaient à sa direction. La position n'était plus tenable.

Devant ce redoublement d'hostilités, Mgr d'Oliveira se résigna à abandonner sa charge. Se voyant, par la malice de ses ennemis, un obstacle au bien, il prit le parti de revenir en Europe, disposé, pour le bien de la paix, à tous les sacrifices, à tous, excepté au sacrifice de sa conscience. Pie [X le consola, l'encouragea, le bénit, mais ne voulut point accepter la démission qu'il lui offrait. Le 27 juin 1877, le Souve- rain Pontife lui avait déjà écrit cette lettre affectueuse : « Nous som- mes bien afHigé de vous savoir malade ; et plus encore de constater que la tristesse causée par la malice des hommes vous a poussé à nous demander d’être déchargé du poids de l’épiscopat. Nous ne voulons pas que vous vous laissiez abattre par la tristesse ; selon le conseil de l’apôtre, priez Dieu de la chasser loin de vous. Pensez que le Chef suprème des Pasteurs nous donnera la récompense promise si nous combattons avec énergie, et malgré que nous ne voyons pas sur terre le résultat heureux de nos eflorts... »

Mgr de Oliveira dut renoncer, encore cette fois, au désir qu'il éprou- vait d'une vie toute d'obscurité et de recueillement, au milieu de ses Frères. Il quitta Rome, dont le séjour nuisait à sa santé et rentra en France, dans l'espoir qu'il pourrait y guérir ! Le 13 mars 1878, il arrivait à Paris. Mais le mal qui le minait depuis longtemps, et sur lequel le P. Louis de Gonzague nous fournit d’intéressantes révéla- tions, fit soudain de si etfrayants progrès, qu'il ne songea plus qu’à se préparer à la mort. Dès lors, il sembla oublier la terre et concentrer toutes ses pensées vers le ciel. En vrai fils de saint François, il salua la mort, comme une aimable sœur envoyée du ciel, pour lui annoncer l'heure suprème de la récompense.

Il la vit venir sans terreur, comme l'ouvrier laborieux et fidèle qui a fini sa Journée et qui attend le repos et le salaire promis par le Père de famille. Les espérances de la guérison qui lui étaient exprimées par ses amis comme une consolation, le laissaient indifférent et mème

UN CONFESSEUR DE LA FOI AU XIXe SIÈCLE 77

attristaient sa grande âme. Il désirait sortir de l'arène il avait longtemps combattu le bon combat, et obtenir la couronne de justice qui lui était réservée.

Il demanda lui-même et reçut avec la foi la plus vive le Saint Via- tique et l'Extrême-Onction, disant qu'il pardonnait de grand cœur à tous ses ennemis et qu'il offrait à Dieu sa vie pour le salut de ses dio- césains. Le lendemain soir, vers onze heures, presque sans agonie et conservant sa connaissance jusqu’au bout, il expira, pendant que ses frères agenouillés récitaient les prières des agonisants. C'était le 4 juillet 1878. « Mgr Vital avait 33 ans 9 mois et 8 jours, il était dans la quinzième année de sa profession religieuse et la septième de son épiscopat. »

L'ouvrage dont nous venons de donner une analyse très superficielle est savamment documenté, élégamment écrit et d’une lecture agréable et facile. Il obtiendra, nous l’espérons, le succès qu'il mérite. I] n'existe pas de lecture plus attachante pour un prêtre, ni plus édifiante pour un laïque, que l’histoire d’un confesseur de la foi, aussi ferme et vaillant en face des menées occultes de la Franc-maçonnerie et des menaces d’un gouvernement persécuteur.Il faut savoir gré au P.Louis de Gonzague du travail qu'il s’est imposé pour nous retracer cette vie si féconde et si pleine, et il convient de le féliciter vivement de l'impar- tialité et de la justice avec lesquelles il a rempli une tâche particuliè-

rement délicate. F. C.

BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE

12 novembre 1912.

Fête de saint Didace d’Alcala.

(FIN)

D. TEXTES ÉPISTOLAIRES.

87. Trois lettres inédites du Fr. Jean Maubert,vicaire Généraldes Observants ultramontains, à Fr. Pierre de Vaux p. p. le P. Jérôme Goyens, dans l’Arch. Franc. hist. t. V (1912) p.85-88. D’après les ori- ginaux conservés chez les F. M. de Schaerbeek-Bruxelles. Les trois let- tres sont de 1446. Elles intéressent l'histoire de la réforme au XVe siècle en France, celle de saint Jean de Capistran et de sainte Colette (in carissima et devotissima matre nostra laudo prudentiam eo vide- licet quod se nec suas regimini fratrum de observantia submittit do- nec sibi constiterit de firmitate et perpetuitate sepedicte provisionis.… p. 88).

88. A propos d'un sujet analogue : Lettres de Guillaume de Casale à sainte Colette déjà publiées d’après les autographes dans les Lettres inédites de G. de Casal (Ët. Fr. t. XIX. p. 465 et 469), le P. Michel Bihl signale, Arch. Franc. hist. t. V (1912) p. 385-387, des variantes de ces lettres dans une copie (XVe siècle), contenue dans le manuscrit XXXIII. f. 3-10 du couvent des Franciscains de Capistrano. Il n'y a aucun doute à avoir à propos de la copie de ces lettres. C'est au texte original, puisque nous le connaissons, qu'il faut se fier.

Redisons que l'original des Constitutions de sainte Colette est chez les Clarisses de Besançon, et celui de la bulle de Pie II, Rome XV kal. nov. 1458, est chez les Clarisses d'Amiens.

89. Trois lettres autographes du B. Bernardin de Feltre existant aux archives communales d'Assise ont été publiées dans la Miscell. franc. an. XII. fasc. III. p. 96. Elles sont de 1487 et parlent des Monts de Piété d'Assise et de Gubbio.

90. Reformationsgech. Studien und Texte hrg. von J. Greving

BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 79

fasc. 20. Aus ungedruckten Franziskanerbriefen des XVI Jahrun- derts par le P. Léonard Lemmens, O. M. Munster en W. rot1. in-8 de X-120 p. Les lettres tirées des archives d’État de Zerbst et de Dantzig émanent surtout du P. Ludwig von Anhalt, ou sont adres- sées à la princesse Marguerite von Anhlat. Celle de 1517 touche le chapitre général de 1517. Une de Martin Luther, Braunsberg, 25 juillet 1523 est envoyée au P. Théophile Quant, dont la biographie se trouve dans le volume suivant :

o1. Briefe und Urkunden des XVI. Jahrhunderts zur Geschichte der Sächzischen Franziskaner, p. p. le P. Léonard Lemmens dans les Beiträge zur Gesch. der Säch. Franziskaner -provinz vom HI. Kreuze p. p. le P. Patrice Schlager. t. IV et V (rgr1et 5912) Düssel- dorf, Schwann p. 43-100. Ce volume renferme, comme le précédent, des lettres et des documents des plus précieux pour l’histoire de l'Or- dre au XVIe siècle, pour la connaissance des controverses entre Conventuels et Observants.

Le Bonus pastor seu Novus tractatus de decem plagis paupertatis Fratrum Minorum de G. Nicolaï signalé à la p. 91,setrouve à la Bibl. Nat. Paris. Impr. Rés. H. 2224.

92. F. C. Carreri publie dans l’Archivum de Quaracchi, 1909. p. 669-672 une très intéressante lettre et relation du P. François de Gonzague, général des Observants, relatives à la réforme des Cordeliers de Paris en 1583. Ces religieux n'étaient guère de bonne composition.

Les pièces publiées sont extraites des archives d’État à Modène.

93. Le P. André Corna a publié des lettres inédites de Luc Wad- ding au chanoine Pier Maria Campi, dans le Bollettino Stor. Piacen- tino, t. v. (1910) p. 208-216, d’après les autographes conservés à Pia- cenza. Elles datent d'avril 1633 à juillet 1630.

93 (bis). Lettres de missionnaires intéressant le département de l'Orne (P. Gabriel d'Alençon, Raphaël de Nantes, Ange de Morta- gne, Barnabé d’Alençon). Lettres publiées d'après le ms. nouv. acq. franc. 10220 de la Bibl. nat. Paris, dans la Société hist. et arch. de l'Orne. Bulletin. t. XXXI. Deuxième bulletin. Documents p. LVII- LXVI. Les lettres vont de 1639 à 1641. Cette publication a été uti- lisée par M. Louis Duval, archiviste hon. de l'Orne, dans l’A/manach- Indicateur de l’Indépendant 1913. Alençon in-8° p. 137-139 : Les missionnaires et les voyages scientifiques aux XVIIe et XVIII: siècles.

94. Le P. Teodoro Cavallon insère dans l'Arch. Fr. hist. t. IIT (1910) p. 781-784, une lettre inédite de S. Léonard de Port-Maurice,. 25 avril 1749, avec deux autres lettres touchant ce saint.

80 BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE

95. Nous devions au P. Ambroise de Valencina un joli recueil de lettres du B. Diego José de Cadix (E1 Director Perfecto y El diri- gido Santo. Correspondencia epistolar del B. Diego José de Cadiz con el V. P. Maestro Francisco Javier Gonzâlez y viceversa. (Sevilla. 1902. in-8. de XVIII-704.)dont la premièreédition avait paru en 1901.

Dans la Revista de Archivos, bibliotecas y museos de Madrid. An. 1906. 2e p. p. 57, le P. Diego de Valencina a commencéla publication d'une série de lettres du même Bienheureux (p. 57, 3or et 423) conti- nue dans le tome de 1907. p. p. 131 et 268, dans le tome de 1907. 20 p. p. 119 et 464, dans le tome de 1908. p. p. 144, 2917 et 482.

La dernière lettre est datée de Ronda, 17 mars 18o1.

96. La Revue Razon y Fe septembre 1906. p. 72-80. art. Adiciones a un libro y pleito curioso par le P. Aicardo S. J. contient des docu- ments relatifs au B. Diego de Cadix sur la prohibition du théâtre. Aux p. 76-80 se trouve la lettre du Bx. au Marquis de Valhermoso, datéede Malaga. 22 août 1780. Cf. Bibliografia de las Controversias sobre la Jicitud del Teatro en España par D. Emilio Cotarelo y Mori. Madrid

1904.

97. Salvador Lain y Royas. Dos cartas ineditas de este Frances- cano illustre par le P. Fidèle Fita dans le Boletin de la R. Academia de la Historia décembre 1909. p. 465-487. Le P. Salvador était chro- nologiste de sa province de Grenade au commencement du XIXe siè- cle. Les deux lettres sont de 1818 et 1819 et relatives à des questions d'archéologie.

E. TEXTES NÉCROLOGIQUES

98. Le Nécrologe des Frères-Mineurs d'Auxerre p. p. le P. An- toine de Sérent. O. M. L. dans l'Arch. Fr. hist. an III (1910) p.115- 138, et 310-332 et 530-550 et 716-738.

D’après le ms. 171 de la bibl. d'Auxerre : « Obituaire des Corde- Liers de la province de France. » XVIIe XVIIIe siècles. Le couvent d'Auxerre tut fondé en 1225 et réformé en 1505 par les Colétans (1).

L'Obituaire procède par ordre du calendrier. I] contient des notes très intéressantes et l'éditeur y a ajouté un véritable luxe de notes.

La publication se termine p. 733-738 par une liste chronologique des noms cités.

99. Catalogue des religieux du couvent des Cordeliers de Fri- bourg 1256-1905 par le P. B. Fleury dans les Archives de la Société d'histoire du canton de Fribourg t. VIII. n. 2.

(1) Dans les Archives de l'Yonne. G. 38 on trouve la liste des provinciaux de la province de France.

BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 81

99 (bis\. Necrologia Germaniæ. t. III. Diœceses Brixinensis, Fri- zingensis, Ratisbonensis, édit. F. Lud. Baumann. Accedunt tabulæ II. Berlin 1905.in-40 (Mon. Germ. Hist. Necrol. Germ. t. IIl). Cf. Ét. Fr. t. XIII. p. 312. Fidèles à leur mode d'édition ne conte- nant pas les textes postérieurs à 1300, les éditeurs n'ont point inséré ici :

10 Le nécrologe des Fr. Mineurs de Kelheim (Munich. Francisc. Lit. 284. XVe siècles).

Le nécrologe des F. M. de Lansliut (id. Franscisc. Lit. 296 édité dans les Schriften des hist. Vereins für Niederbayers t. XIII. p. 347 ets.

30 Le nécrologe des Clarisses de Münich (Id. commencé en 1424).

Le Liber annivers. Fr. Min. de Munich. Francisc. Lit. 309. Fragment dans Cm. 29079.

Mais on trouvera : P. 247-260. Le Liber anniversariorum Fratrum Minorum Ratisbonensium. Ce couvent fut fondé vers 1220 par l’évê- que de Ratisbonne Conrad. Le Liber fut composé vers 1460 par Jean Rab, gardien du monastère, d’après des documents anciens et des épi- taphes (Munich. lat. 1004) Ce Liber avait déjà été publié par Prims {Verhandlungen des hist. Vereins von Oberpflaz und Regensburg. t. XXV. p. 193-360). Fr. Rab mourut le 2 janvier 1471. L'obit de Ber- thold de R. est marqué au 14 décembre 1272 (p. 259).

La préface de cet. III. p. VII, parle du Mortuarium S. Claræ de Ratisbonne.Lisez : M.S. Crucis sororum S. Dominici. Cf. id. p. 293.

100. Necrologio dei Frati Minori Capuccini della provincia da S. Carlo in Lombardia. Primo e secondo Semestre, par le P. Giambat- tista da Venezia. Milano. Tip. S. Giuseppe. 1910. 2 vol. in-8° de r2- 212 et 12-215 P.

F. EPITAPHES ET INSCRIPTIONS

101. Épitaphe du Franciscain Jacques de Pomars ( 1319) à Carcas- sonne par l'abbé Baichère dans le Bulletin de la Société archéologi- que du Midi de la France. 2e série, n°5 32 à 36. Toulouse, 1906. in-80 p. 1062.

102 Epitaphia quæ ad sepulchra Cardinalium et fratrum ord. min.

Cap. leguntur in ecclesia et cœmeterio Conventus Urbis Romæ dans les Analecta Ord. Min. Cap. février 1908 p. 56 et 86.

103. Quelques épilaphes dansl'église des Cordeliers de Lons-le-Sau- nier, par M.Perrod dans la Revue hist.église de France. 1911, P. 105.

104. {nscriptions françaises et latines du Couvent des Capucins

E. F. xxIX. 6

82 BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE

d'Evreux actuellement le lycée par L. Guéry. Evreux. Odieuvre. 1908. in-8° de 324.

G. TEXTES LITTERAIRES

105. Poesie attributi a S. Francesco commentées et traduites par P. F. Paoli, dans la Misc. franc. de Foligno, fasc. I. mars-avril 19171 p. 22-26 et fasc. IT. p. 57-64 et fasc. III p. 71-81. et fasc. IV. p. 121- 125.

106. Maximas de un Santo. Sentencias piadosas del Beato Gil compañero de San Francisco de Asis ordenadas por el P. Fr. Atanasio Lopez. Madrid. G. del Amo. 1910 in-32 de 89 p. Dans son introduc- tion, l’auteur donne en particulier une indication destextes castillans du B. Gilles et une énumération des sources de sa vie (p. 29) au XIII et XIVe siècles.

Le B. Gilles est mort à Pérouse le 23 avril 1262.

107. Hugues de Digne (mort vers 1255-1256) a écrit un traité De finibus paupertatis. Inc. Inferius exarata. Melle Claudia Florovsky le publie dans l'Arch. fr. hist. t. v. (1912) p. 277-290 d'après le ms. Vatican, lat. Urbin. 480 (début du XIVe siècle) en y joignant les variantes du ms. Plut. XVII. 29 de la Laurentienne (et aussi Vatic. Borghese. 191 et 294).

Je relève et rapproche ces deux passages très intéressants : « Omnis religio et quelibet pars religionis habet insigne suum quo veraciter se dicit, a. cujus insignis excessu pretento exterius, mensuratur in- terioris religionis et cujuslibet ejus partis excessus. [nterior quidem religio, in ipsa interius consistit voluntate, exterior vero,que insigne dicitur interioris, foris in ipsa specie (p. 281)...

Insignia que minores in extremo consistere paupertatis declarant eosque non modicum, immo quam plurimum eo ipso decorant, in eorumdem regula evidenter expressa sunt (p. 283).

108. Fratris Johannis Pecham quondam archiepiscopi Cantua- riensis tractatus tres de Paupertate cum bibliographia ediderunt C. L. Kingsford, A. G. Little, F. Tocco. Aberdoniæ. Typ. Academicis. MCMX in-8 du VIl-198 p. (Société Anglaise des Études Fran- ciscaines. vol. I[). Nous avons ici des extraits du Tractatus Pauperis Inc: Quis dabit capiti meo.., Consideranti mihi d'après Corpus Christi College. Oxford. 182. fol. 1-36 le Tractatus contra Rober- tum Kilwardeby. \nc. Super tribus et super quatuor sceleribus, d'a- près deux mss. de la Bibl. Laurentienne la Defensio fratrum men- dicantium, morceau poétique, d’après Cambridge, Univ. Library. Dd XIV. 20 et Bodléienne Digby. 166.

BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 83

Le Tractatus contra R. Kilwardeby p. p. F. Tocco, l'avait déjà été par le même dans La Quistione della poverta nel secolo XIV secondo nuovi documenti. Napoli. 1910. p. 174-257 Cf. Liv. Oliger dans l’Archivum de Quaracchi. janvier 1911. p. 147-152.

Rappelons que c’est à M. Kingsford que nous devons la biographie de John Pecham (né à Patcham, Sussex) dans le Dict. of nat. biogra- phr. t. XLIV. p. 190-197.

109. Dans l’Arch. Franc. hist. an. 1908 p. 652-655, le P. Bihl donne des extraits des sermons d’un archevêque de Pise, Frédéric de Vicecomitibus, sermons consacrés à louer St. François (1263-1267).

110. Robert Steele et William Morris ont publié à Londresen 1905 sous le titre Mediæval Lore from Bartholomew Anglicus (The De More Press. in-12) une adaptation partielle, à la fois somptueuse et populaire, du livre de Barthélemy. Cf. H. Matrod. Études Francis- caines, novembre 1912 p. 468-483.

111. Dans un livre sur l’hylomorphisme de Roger Bacon considéré comme fondement de ses croyances philosophiques, le Dr. P. Hugo Hôver, notre collaborateur, publie p. 22-65 un texte inédit du Commu- nia naturalium.Cf. Roger Bacons Hylomorphysmus, als Grundlage seiner philosophischen Anschauungen, par le P. H. Hôver, cistercien. Limburg a. d. Lahn. Gebrüder Steflen, 1912, in-8° de VIII - 264 p. Extr. du Jahrbuch für Philosophie und speculative Theologie. Vol. 25 et 26. Le P. Hôver a pris pour base dutexte édité le ms. de la bibl. Mazarine 3576. Il publie seulement la 44 pars communium natu- ralis philosophie que est de produccione rerum in generali. Cf. F. Delorme, Dict. Théol. cath. de Mangenot t. II (1905) col. 8-31.

112. Un fragment inédit de l’'Opus Tertium de Roger Bacon. Pré- cédé d'une étude sur ce fragment par Pierre Duhem. Quaracchi 1900. in-80 de 197 pages.

113. Fratris Rogeri Bacon Compendium totius Theologiæ edidit H. Rashdall, una cum appendice de operibus Rogeri Bacon edita per A. G. Little. Aberdoniæ. Typ. Academiciss MCMXI ïin-8° de VI-119 pages. (Société anglaise des Études Franciscaines vol. III). Édité d’après Brit. Museum Royal. 7. F. VII (fin XIIIe siècle). Dans son introduction M. Rashdall donne un résumé de ce très important Compendium publié p. 25-60.

A la fin du volume, p. 71-110, M. Little reprend son travail publié dans The Grey Friars in Oxford (1892) p. 195-211.

Avons-nous noté que M. Robert Steele a publié la Mefaphisica Fra- tris Rogeri ordinis fratrum minorum. De viciis contractis in studio

84 BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE

theologie omnia quæ supersunt nunc primum edidit KR. Steele. Lon- dres. Clarendon Press. 1969 in-8c de 64 p.

114. M. À. G. Little a retrouvé un fragment perdu de l'Onus Ter- tium de Roger Bacon dans le ms. 39 du Collège de Winchester. Cf. English Hist. Review avril 1912 p.318-321.11 se proprose de le publier dans la collection de la société anglaise des Études Franciscaines.

115. La librairie De Jaeger, à La Haye, a mis en vente un Atlas der Nederlansche palæographie de M. Brugmans et Oppermann (1910 in. fol.) La pl.IX contient une page du Sfimulus amoris (1393) ici attribué à Henry de Baume.

116. Un traité de théologie inédit de Gauthier de Bruges. Ins- tructiones circa divinum officium p. p. l'abbé A. De Poorter. Bruges. De Plancke, 1911 in-8. de XII-44 p. D'après ms. 222 de la bibl. com. de Bruges, ms. 299 bibl. St. Omer et un fragment conservé aux archi- ves d'État à Bruges. Le P. Callebaut a de plus signalé dans Arch. Fr. hist. t. V. (1912) p. 368, le ms. lat. 14558 de la bibl, nat. Paris.

117. Des Frater Rudolph Buch : De oficio Cherubimpar A. Franz dans la T'heologische Quartalschrift de Tübingue 1906. p. 411-436. D'après le ms. 639 de l'Université de Leipzig. L'attribution de cet écrit au Frère-Mineur Rodolph n'est que probable.

. 118. The Mirrour of the blessed Lyf of Jesu Christ, ed. p. S.F.

Powell. Londres. Frowde. Réimpression d'unetraduction anglaise de 1410 des Meditationes Vitæ Christi de Jean de Caulibus et attribuées longtemps à saint Bonaventure. Cf. The Expository Times, d’Edim- bourg. Tom. XX (1909) p. 169-170. Chacun sait que ces Meditationes sont de Jean de Caulibus O. M.

119. T'he Poems of William Dunbar with introduction. Notes and Glossary par H. Bellyse Baïldon. Londres 1907 in-8° de XLII 396 pages. La seule Visitation of St. Francis de Dunbar nous est utile à connaitre. Cf. Études Franciscaines décembre 1908. p. 653.

120. Per No7ze Rasse-Javon XXVIII avril MCMVIII par Maurice Mignon. Clamecy. in-8° de 13 p. L'auteur a inséré p. 7-13 quelques extraits (traduits en français) des sermons deS. Bernardin de Sienne.

121. S. Bernardino da Siena : Fioretti par N. Orlando. Siena, Tip. Sociale 1911 in-8 de 220 p. Quarante-quatre discours enitalien furent prèchés par St Bernardin sur la place publique de Sienne depuis le

BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 85

15 août jusqu'à la fin de septembre 1427. Ces sermons furentrecueillis, puis publiés en partie par Milanesi (1853). Lambrini (1868) et Banchi (1880, trois volumes). M. Orlando reprend cette œuvre, l’allège de ce qui est un peu aride.

132. Sermon de St. Jacques de la Marche sur l’excellence de l’Or- dre des F. M. p. p. le P. Nicolo Dal-Gal dans l’Arch. Fr. hist. t. IV (1911) p. 303-313. D'après l’autographe. Cf. Crivellucci Z codici della libreria raccolta da S. Giacomo della Marca nel Convento di S. Maria delle Grazie presso Monteprandone. Livorno 1889. ms.

Voici le plan de ce très substantiel discours : « Primus ille Ordo fuit : 1. Singularissimus in scientie radiositate. 2. Excellentissimus in doctrine nobilitate. 3. Preclarissimus regali et imperiali dignitate. 4. Lucidissimus in miraculorum sanctitate. »

123. Commentaria in quatuor libros sententiarum Magistri Petri Lombardi de Pierre d’Aquila O. M. Editée par le P. Cyprien Paolini. Recco, typ. Nicolosio 1907. 3 vol. in 16 de 446, 441, 255 p. On sait que ce P. Pierre d’Aquila qui devint évêque de Saint-Ange, est appelé le « Petit Scot », Scotellus. Cf. Wadding Script. 1650 p. 275.

124. Les Anal. ord. min. Cap. Février 1911. p. 54 et s. ont réédité le traité de la Pauvreté du B. Jean de Fano, en latin et en italien.

Cette publication se termine avec le fasc. du 15 septembre 1911. p. 272. L'éditeur p. 271. signale diverses versions de ce Tractatus, attri- bué également au P. Eusèbe d’'Ancône O. M. C.

125. The second Recension of the Quignon Breviary,, following an edition printed at Antwerp in 1537 and collated with twelve other editions to which is prefixed a hand list of editions of the first and second recensions p. p. J. Wickham Legge. vol. I. Text. Londres 1908 in-8° de LXXII-403 ( Henry Bradshaw Society. vol. XXXV). La première édition du bréviaire de Quiñonez est de 1535 et la seconde de 1536. Ces deux éditions furent réimprimées maintes fois jusqu'au jour S. Pie V réforma le bréviaire et supprima l'œuvre du Cardi- nal Quiñonez. La société H. Bradshaw, déjà si méritante pour son œuvre liturgique, a réimprimé la seconde édition du texte organisé par Quiñonez ; il est tout à fait curieux que, pour ce faire, M. J. Wickham Legg n'ait pu mettre la main sur un tirage de 1536, malgré toutes ses laborieuses recherches, et qu'il ait se contenter d'un exemplaire de 1537.

126. Opuscolos de san Pascual Bailon Patron de todas las Asocia- ciones eucaristicas, sacados del cartapacio autografo, ordenados, ano-

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tados y precedidos de una introduccion biobliografica por el P. Fr. Jaime Sala, franciscano, de la Provincia de Valencia. Toledo. Imp. de Rodriguez y Hermano (1912) petit in-8° de 406-[18] pages. Dans son introduction savante, le P. Jaime Sala donne la liste des biographes du saint. Le premier fut le V. P. Jean Ximenez qui publia sa Chronica del B. Pascual à Valencia chez J. C. Garriz en 1601. in-8° de 652 pages.

Le P. Jaime Sala donne ensuite la description du ms. autographe qui lui sert de base. Ce manuscrit avaitété connu de Wadding (Script. 1650. p. 271)et de Jean de St. Antoine (Bibl. Matriti. 1752. p. 40g- 411). Il se trouvait alors à Elche (Alicante). Il se trouvait au XIXe siècle au couvent de St. Juan de la Ribera (Valencia) d'où il vient de passer aux Franciscains de Valencia. Cf. Una sorpresa de san Pascual Bailon dans la Rivista Franciscana de Vich. du 8 mai 1911, arti- cle reproduit dans El Siglo Futuro. 12 mai r911. Les Voix Francis- caines 1911. p. 305-313. art. du P. Michel Ange.

Ce ms., appelé cartapacio par S. Pascal lui-même, composé « para mi recreaciôn espiritual » renferme certains textes que ne reproduit pas le P. Sala, et à juste titre : Règle et Testament de St. François, déclaration de la règle de Jean de Fano, sommaires d'indulgences, etc. Le P. Sala, pour son édition, adopte la méthode suivie par le P. Pas- cal Salmeron, Mineur déchaussé, dans un travail inédit sur le même sujet et renfermé aux archives de Jumilla (Murcià). Voici les titres des Opuscules édités par le P. Sala :

r. Sur l'oraison et les exercices adaptés à la journée de la vie spiri- tuelle (8 chapitres).

2. Sur l’amour et le respect dus à Jésus-Eucharistie et prières pour obtenir des grâces (7 ch.). l

3. Autres dévotions que doit exciter en soi notre âme (6 ch.).

4. Sur l’Incarnation du Fils de Dieu (8 ch.).

5. De la visitation de la S. Vierge à Ste. Elisabeth et de la sancti- fication de S. Jean-Baptiste (2 ch..).

6. De la maternité de la S. Vierge et de la révélation que S. Joseph eut de sa pureté virginale (4 ch.).

7. Des Grandes Antiennes O. (2 ch.).

8. De la naissance de N.-S. à Bethléem, de Marie fille de Joachim et d'Anne (8 ch.).

9. Du saint nom de Jésus (4 ch.).

10. De l'adoration des Mages (3 ch.)

11. Des fêtes des Saints célébrées dans l’octave de Noël (6 ch.).

12. De la virginité de la Mère de Dieu, de sa purification ; fête de la Chandeleur et de la Perte de l'Enfant Jésusà Jérusalem(4 ch. et app.).

13. Du miracle de Cana (3 ch.)

14. De la prédication, miracles, passion et mort du Christ annon- cés par les prophètes, et autres divins mystères (14 ch.)

BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE 87

15. De l'Église Catholique, unique Église de J.-C. (8 ch.)

16. De la nature de Dieu, un en essence et trine en personnes (7 ch.).

17. De la gloire et félicité du Ciel (7 ch.).

18. Miscellanées spirituelles (7 ch.).

19. Prières, pensées, oraisons jaculatoires familières à saint Pas- cal (17 ch.).

Le P.Jaime Sala indique assez ordinairement les sources auxquel- les puisa le Saint.

L'éditeur n’a malheureusement pas illustré le livre. Nous regret- tons qu'il n'ait pas songé à reproduire une seule des cinq photogra- phies présentées dans ce but par le savant P. Sala.

127. Nueva Bibliotheca de Autores Españnoles bajo la dirrecciôn del Exmo. Sr. D. Marcelino Menéndez y Pelayo. 16. Escritores Misticos Españoles. Tomo I. Hernando de Talavera, Alejo Vene- gas, Francisco de Osuna, Alfonso de Madrid. Avec un discours pré- liminaire du P. Michel Mir. Madrid. Baïlly-Ballière 1911 in-4°. Le troisième Abécédaire d'Osuna est réimprimé p. 319-587 d'après l’édi- tion de Burgos. 1544 L'Arte para servir a Dios d'Alonso de Ma- drid est reproduit p. 588-634 d’après l'édition d'Alcala 1525. Les notices biographiques relatives à ces deux franciscains se trouvent dans le discours du P. M. Mir, S.J. p. XXVII-XXXITI.On sait l'usage que sainte Thérèse fit deces deux auteurs. Le P. Jaime Sala avait déjà réédité L'Arte para servir a Dios à Valencia en 1903.

Le tome 16 dela Nueva Biblioteca contient de plus, p. 635-649, l'Es- pejo de ilustras personas d’Alonso de Madrid. M. Francisco Rodriguez Marin prépare une édition du Norte de los estados d'Osuna.

Puisque nous en sommes à la Nueva Bibl, de Autores españnoles, signalons le tome I. de la collection, intitulé Origenes de la Novela 1905 in-4° de DXXXV p. par D. Menendez y Pelayo. Le paragraphe J11 parle de KR. Lulle et du Fray Anselmo de Turmeda, tous deux ma- Jorcains.De R. Lulle nous avons le Libre del Gentil et los tres Savis, très répandu au XIVe siècle, publié en français en 1831 par Reinaud et Francisque Michel à la fin du Roman de Mahomet ; nous avons aussi Blanquerna (Cf. Hist. litt. Franc. T. XXIX. p. 347)et Morel Fatio dans la Romania. Tome VI (1877) p. 504-528, et Ad. Helf- ferich Raymond Lull und die Aufänge der catalonischen Lite- ratur. Berlin. Springer, 1858. p. 114-118 ; nous avons enfin de R. L. le Libre apellat Felix de les maravelles del mon, achevé à Paris en 1286 ; une version catalane en fut publiée a Majorque en 1750 ; elle est anonyme, mais attribuée au fervent lulliste P. Louis de Flandes, provincial des capucins de Valencia. Cf. Conrad Holfmann Eïn Katalanische Thieropos von Ramon Lull. Munich. 1872.

Fray Anselmo de Turmeda, apostat de l'Ordre et de la foi catholi-

88 BULLETIN D'HISTOIRE FRANCISCAINE

que, mourut finalement martyr, de la propre main du roi de Tunis. Cf. La disputation de l'asne contre frère Anselme Turmeda sur la nature et noblesse des animaux faicte et ordonnée par le dit frère Anselme en la cité de Tunnies l'an 1417... traduicte de vulgaire hes- pygnol en langue françoyse. Lyon, L. Buysson. 1548 La revanche et contre dispute de frère Anselme Turmeda contre les bestes par Mathurin Maurice. Paris. 1554. Crônica de la santa Provincia de Cataluna par le P. Jaime Coll. Barcelona. 1738. t. I. lib. VI cap. X. Le Present de l'homme lettré pour réfuter les partisans de la Croix par Ab Allah ibn Abd Allah, le drogman. Traduction fran- çaise. Paris. E. Leroux 1886.

Les paragraphes VI et VII du tome I de la Nueva Bibliotheca de Autores Españoles traitent de Juan Rodriguez del Padron, et de An- tonio de Guevara,

Jean Rodriguez del Padron est mentionné dans les Scriptores de Wadding. 1650. p. 212, dans les Annales Minorum. t. XI. p. 74. IV (1450), dans Clarus Darstellung der span. Literatur im Mil- telalt.t. IL. p. 138-143. Son Trionfo de las donas fut traduit en fran- çais par un portugais Fernando de Lucena, en 1460, à la cour de Philippe le Bon ; il y en a deux mss. à la bibl. royale de Bruxelles et Brunet en cite une édition en 1530. Les Obras de Juan Rodriguez de la Comara (6 del Padrôn) ont été publiées par la Société des biblio- philes espagnols à Madrid en 1884; Le Triomphe des Dames s'y trouve aux pp. 319-368. |

Antonio de Guevara, prédicateur de Charles-Quint, évêque de Montonedo (Wadding Scriptores 1650. p. 32) a écrit le Libro Lla- mado Relox de Principes plus généralement connu sous le nom de Libro aureo del emperador Marco Aurelio. Valladolid. 1529. Cet ouvrage eut un retentissement considérable ; il fut traduit en latin, italien, français, anglais, allemand, hollandais, danois, hongrois, et mêmearménien au XVIIIe siècle. Guevara est un écrivain de premier ordre, et un des plus grands prosaïstes antérieurs à Cervantès. Nous avons, en français, le Livre doré de Marc-Auréle...traduit... par R. B. (René Bertaut). Paris. Galliot du Pré. 1531 L'Orloge des Princes. Paris. 1540 traduction du Sr. de la Grise, revue et complétée par An- toine du Moulin. Une autre traduction est due à Nic. d'Herberay sieur des Essarts. Cf. Montaigne Essais lib. II. ch. II. On trouve dans Guevara, comme dans la Cyropédie de Xénophon, une grande richesse d'épisodes, par exemple celui du Paysan du Danube (Cf. Ch. Nodier Mélanges tirés d'une petite bibliothèque p. 162 et H. Taine La Fontaine et ses fables. p. 273-286.

128. Le tome 20 de la même Nueva Biblioteca de Autores Espa- ñoles renferme les Obras Misticas del M. R. P. Fr. Juan de los Angeles ministro provincial de la antigua Provincia francescano

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descalza de San José, annotées et précédées d’une introduction bio- bibliographique du P. Jaime Sala Molté, franciscain de la province de Valencia. in-4 de LXIX-576 p. Parte primera. Cette première partie renferme :

I. Triunfos del amor de Dios (fragment, à savoir les préliminaires, le prologue, les méditations, et la lettre à une personne dévote),

II. Dialogos de la Conquista del Reino de Dios.

III. Manual de Vida Perfecta (2° partie de la Conquista, avec les six dialogues.)

IV. Lucha espiritual y amorosa entro Dios y alma (seconde édi- tion des T'rionfos del amor de Dios).

V. Tratado de los soberanos misterios de la Misa (cinq dialogues).

VI. De como el alma ha de traer siempre à Dios presente delante de si, ou Presencia de Dios.

VII. Libero primero del Vergel del anima religiosa (21 chapitres).

Le P. Jean des Anges est sûrement un des meilleurs interprètes du sentiment catholique de la race espagnole.

La seconde partie, à venir, comprendra l'œuvre principale du P. Jean des Anges : Tratado utilisimo de consideraciones espirituales sobre el libro del Cantar de los Cantares de Salomon. Ce Tratado sera précédé d’une « dissertation critique et littéraire sur les écrivains mystiques ibero-franciscains. »

Nous rappelons pour mémoire que l’ancienne Bibliotheca de Auto- res Españoles de Madrid a donné divers textes franciscains, par exem- ple Archange d’Alarcon (tom. XXXV),S. Pierred’Alcantara (t. LIII), Marie d'Agreda (LXII).

129. Poesias del P. Fr. Diego Murillo de la Orden de Frailes Menores con una Introduccion del P. Fr. Antonio Navarro de la mis- ma Orden. Valencia. 1906. in-8o de XXXVIII-286 pages. Avec un portrait. L'Espagne franciscaine compte une phalange innombrable de poètes : Ambroise de Montesinos Juan Rodriguez del Padrôn Iñigo de Mendoza Francisco de Avila Juan de la Puebla

Moner fAlonzo Ortiz Luis Escobar Francisco Ortiz Alonso de Transpinedo Paulino de la Estrella Gabriel de Mata Je B. Nicolas Factor Arcangel de Alarcon Juan de

Pineda Pedro de los Reyes Michel de Avellan Juan Timo- neda Antonio Panes Bernardino de Laredo Antonio de Santa Maria Angel de Badajoz Francisco de San José Francisco de Santiago Francisco Serra Feliciano de Séville Miguel de Luna Nicolas de Mallorca, etc.

Diego Murillo naquit à Zaragoza le mai 1555 et mourut le 13 août 1616. Cf. Études Franciscaines. t. XXIIL (roro) p. 205-214, et t. XIII. p. 321 ; tom XX. p. 92 et 622 et Rev. de Arch. Bibl. y Museos. t. XIX (1908) p. 276-278.

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Au sujet d’une œuvre de Fr. Diego Murilloici précédemment signa- lée (Ét. Fr. t. XX. p. 92) et intitulée Instrucciôn para enseñar la virtud à los principiantes (Barcelona 1907. 2 vol.in-4° de 469 et 418 p.), la revue Espana y America. 1er juillet 1907 fait cette réflexion: «a L’Instruction a le même but que les Exercices de la Perfection du P. Rodriguez, mais lui est infiniment supérieure. On peut lui compa- rer les Collationes de Cassien ou Échelle spirituelle de StJean Cli- maque ; mais comme œuvre scientifique, le travail du P. Murillo est de beaucoup préférable. » Cf. Jean de St. Antoine Bibl. franc. t. I. p. 3503.

130. De sant Francisco hizo estas coplas fray Ambrosio Monte- sino que se siguen. p. p. le P. José Ma de Elizondo dans la R. de Est. Franc. avril-mai 1910. p. 174-176 d’après les Coplas... que com- puso….. Fray Ambrosio Montesino, de la Orden... de la Observan- tia (Cf. D. Placido Aguilo Apuntes bibliograficos acerca de cuatro incunables españoles desconocidos (Barcelona 1888) et Haebler Biblio- grafia ibérica del siglo XV. 1903 p. 213, et Menendez y Pelayo Antologia de poetas liricos castellanos. Madrid. 1896. t. IV. p. 288- 2yoett. VI. p. CCXXIX et CCXXX.

131. Soneto à St. François par le P. Archange de Alarcon. O. M. C. dans la R. de Est. Franc. avri-mai 1910 p. 234.(p.p.le P. José M2 de Elizondo) d'après Vergel de plantas divinas en varios me- tros espirituales par le P. A. de Alarcon. Barcelona, Jayme Cendrat.

1594. fol. 347.

132. Jana Vodnanského traktat o poceti precistém a neposkvrne- nem dustoyne p Marie. Prague 1008.36 p. C'est un traité écrit par le franciscain Jean Vodnansky pour la glorification de la Ste Vierge Marie.

133. Das grosse Leben Christi par le P. Martin de Kochem, nouv. éd. par le P. Gaudentius Koch. Cologne et Munich. Drees. s. d. in-4 de XXXVIII-r102 p. Das Büchlein von Gott parle P. Martin de Kochem. nouv. édit. par le P. Egon.O. M. C. Mainz, Kircheim 1912 in-12 de XXXII[-324 p. (D'après l'édition originale de Mayence parue en 1708).

Explication du saint sacrifice de la messe par le R. P. Martin de Cochem, ouvrage traduit de l'Allemand d'après l'édition populaire de Cologne par A. Rugemer, éd. Paris. Casterman (s. d.) in-16 de 331 pages.

Der goldene Himmelschlüssel des ehrw. P. Martinus von Cochen Jür fromme und heilsbegierige Seelen. Einsielden. Benziger.(r900 ?) in-24 de 378 pages. B. Nat. Paris. (D. 85976). Nouvelle édition de la Clef d’or du ciel.

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134. Seraphisches